1. — Dans notre ouvrage sur la Genèse, nous avons développé la théorie de la génération spontanée, en la présentant comme une hypothèse probable. Quelques partisans absolus de cette théorie se sont étonnés que nous ne l’ayons pas affirmée comme principe. A cela nous répondons que, si la question est résolue pour les uns, elle ne l’est pas pour tout le monde, et la preuve, c’est que la science est encore partagée à cet égard ; elle est, d’ailleurs, du domaine scientifique, où le Spiritisme ne peut puiser, mais où il ne lui appartient pas de rien résoudre d’une manière définitive, en ce qui n’est pas essentiellement de son ressort.
De ce que le Spiritisme s’assimile toutes les idées progressives, il ne s’ensuit pas qu’il se fasse le champion aveugle de toutes les conceptions nouvelles, quelque séduisantes qu’elles soient au premier aspect, au risque de recevoir plus tard un démenti de l’expérience, et de se donner le ridicule d’avoir patronné une œuvre non viable. S’il ne se prononce pas nettement sur certaines questions controversées, ce n’est pas, comme on pourrait le croire, pour ménager les deux partis, mais par prudence, et pour ne pas s’avancer légèrement sur un terrain non suffisamment exploré ; c’est pourquoi il n’accepte les idées nouvelles, même celles qui lui paraissent justes, d’abord que sous bénéfice d’inventaire, et d’une manière définitive seulement alors qu’elles sont arrivées à l’état de vérités reconnues.
La question de la génération spontanée est de ce nombre.
Personnellement c’est pour nous une conviction, et si nous l’eussions traitée dans un ouvrage ordinaire, nous l’aurions résolue par l’affirmative ; mais dans un ouvrage constitutif de la doctrine spirite, les opinions individuelles ne peuvent faire loi ; la doctrine n’étant point fondée sur des probabilités, nous ne pouvions trancher une question d’une telle gravité, à peine éclose, et qui est encore en litige parmi les gens spéciaux. En affirmant la chose sans restriction, c’eût été engager prématurément la doctrine, ce que nous ne faisons jamais, même pour faire prévaloir nos sympathies.
Ce qui, jusqu’ici, a donné de la force au Spiritisme, ce qui en a fait une science positive et d’avenir, c’est qu’il ne s’est jamais avancé à la légère ; qu’il ne s’est constitué sur aucun système préconçu ; qu’il n’a établi aucun principe absolu sur l’opinion personnelle, ni d’un homme, ni d’un Esprit, mais seulement après que ce principe a reçu la consécration de l’expérience, et d’une démonstration rigoureuse résolvant toutes les difficultés de la question.
Lors donc que nous formulons un principe, c’est que nous sommes assuré d’avance de l’assentiment de la majorité des hommes et des Esprits ; voilà pourquoi nous n’avons pas eu de déceptions ; telle est aussi la raison pour laquelle aucune des bases qui constituent la doctrine, depuis tantôt douze ans, n’a reçu de démenti officiel ; les principes du Livre des Esprits ont été successivement développés et complétés, mais aucun n’est tombé en désuétude, et nos derniers écrits ne sont, sur aucun point, en contradiction avec les premiers, malgré le temps écoulé et les nouvelles observations qui ont été faites.
Il n’en serait certainement pas de même si nous avions cédé aux suggestions de ceux qui nous criaient sans cesse d’aller plus vite, si nous avions épousé toutes les théories qui éclosaient de droite et de gauche.
D’un autre côté, si nous avions écouté ceux qui nous disaient d’aller plus lentement, nous en serions encore à observer les tables tournantes. Nous allons de l’avant, quand nous sentons que le temps est propice, et que nous voyons que les esprits sont mûrs pour accepter une idée nouvelle ; nous nous arrêtons quand nous voyons que le terrain n’est pas assez solide pour y poser le pied. Avec notre lenteur apparente, et notre circonspection trop méticuleuse au gré de certaines gens, nous avons fait plus de chemin que si nous nous étions mis à courir, parce que nous avons évité de culbuter en route. N’ayant pas lieu de regretter la marche que nous avons suivie jusqu’à présent, nous n’en dévierons pas.
Cela dit, nous complèterons par quelques remarques ce que nous avons dit dans la Genèse, touchant la génération spontanée. La Revue étant un terrain d’étude et d’élaboration des principes, en y donnant carrément notre opinion, nous ne craignons pas d’engager la responsabilité de la doctrine, parce que la doctrine l’adoptera si elle est juste, et la rejettera si elle est fausse.
2. — C’est un fait aujourd’hui scientifiquement démontré que la vie organique n’a pas toujours existé sur la terre, et qu’elle y a eu un commencement ; la géologie permet d’en suivre le développement graduel. Les premiers êtres du règne végétal et du règne animal qui ont paru ont donc dû se former sans procréation, et appartenir aux classes inférieures, ainsi que le constatent les observations géologiques. A mesure que les éléments dispersés se sont réunis, les premières combinaisons ont formé des corps exclusivement inorganiques, c’est-à-dire les pierres, les eaux et les minéraux de toutes sortes. Lorsque ces mêmes éléments ont été modifiés par l’action du fluide vital, — qui n’est pas le principe intelligent, — ils ont formé des corps doués de vitalité, d’une organisation constante et régulière chacun dans son espèce. Or, de même que la cristallisation de la matière brute n’a lieu que lorsqu’aucune cause accidentelle ne vient s’opposer à l’arrangement symétrique des molécules, les corps organisés se forment dès que les circonstances favorables de température, d’humidité, de repos ou de mouvement, et une sorte de fermentation permettent aux molécules de matière, vivifiées par le fluide vital, de se réunir. C’est ce que l’on voit dans tous les germes où la vitalité peut rester latente pendant des années et des siècles, et se manifester à un moment donné, quand les circonstances sont propices.
Les êtres non procréés forment donc le premier échelon des êtres organiques, et compteront probablement un jour dans la classification scientifique. Quant aux espèces qui se propagent par procréation, une opinion qui n’est pas nouvelle, mais qui se généralise aujourd’hui sous l’égide de la science, c’est que les premiers types de chaque espèce sont le produit d’une modification de l’espèce immédiatement inférieure.
Ainsi s’est établie une chaîne non interrompue depuis la mousse et le lichen jusqu’au chêne, et depuis le zoophyte, le ver de terre et le ciron jusqu’à l’homme. Sans doute, entre le ver de terre et l’homme, si l’on ne considère que les deux points extrêmes, il y a une différence qui semble un abîme ; mais lorsqu’on rapproche tous les anneaux intermédiaires, on trouve une filiation sans solution de continuité.
Les partisans de cette théorie qui, nous le répétons, tend à prévaloir, et à laquelle nous nous rallions sans réserve, sont loin d’être tous spiritualistes, et encore moins Spirites. Ne considérant que la matière, ils font abstraction du principe spirituel ou intelligent. Cette question ne préjuge donc rien sur la filiation de ce principe de l’animalité dans l’humanité ; c’est une thèse que nous n’avons pas à traiter aujourd’hui, mais qui se débat déjà dans certaines écoles philosophiques non matérialistes. Il ne s’agit donc que de l’enveloppe charnelle, distincte de l’Esprit, comme la maison l’est de son habitant. Le corps de l’homme peut donc parfaitement être une modification de celui du singe, sans qu’il s’ensuive que son esprit soit le même que celui du singe. [pour la compréhension de ces derniers paroles voir] (Genèse, ch. XI, nº 15.).
La question qui se rattache à la formation de cette enveloppe n’en est pas moins très importante, d’abord parce qu’elle résout un grave problème scientifique, qu’elle détruit des préjugés depuis longtemps enracinés par l’ignorance, et ensuite parce que ceux qui l’étudient exclusivement se heurteront à des difficultés insurmontables quand ils voudront se rendre compte de tous les effets, absolument comme s’ils voulaient expliquer les effets de la télégraphie sans l’électricité ; ils ne trouveront la solution de ces difficultés, que dans l’action du principe spirituel qu’ils devront admettre en fin de compte, pour sortir de l’impasse où ils se seront engagés, sous peine de laisser leur théorie incomplète.
Laissons donc le matérialisme étudier les propriétés de la matière ; cette étude est indispensable, et ce sera autant de fait : le spiritualisme n’aura plus qu’à compléter le travail en ce qui le concerne. Acceptons ses découvertes, et ne nous inquiétons pas de ses conclusions absolues, parce que leur insuffisance, pour tout résoudre, étant démontrée, les nécessités d’une logique rigoureuse conduiront forcément à la spiritualité ; et la spiritualité générale étant elle-même impuissante à résoudre les innombrables problèmes de la vie présente et de la vie future, on en trouvera la seule clef possible dans les principes plus positifs du Spiritisme. Déjà nous voyons une foule d’hommes arriver d’eux-mêmes aux conséquences du Spiritisme, sans le connaître, les uns en commençant par la réincarnation, les autres par le périsprit. Ils font comme Pascal qui découvrit les éléments de la géométrie sans étude préalable, et sans se douter que ce qu’il croyait avoir découvert était une œuvre accomplie. Un jour viendra où des penseurs sérieux, étudiant cette doctrine avec l’attention qu’elle comporte, seront tout surpris d’y trouver ce qu’ils cherchaient, et ils proclameront tout fait un travail dont ils ne soupçonnaient pas l’existence.
C’est ainsi que tout s’enchaîne dans le monde ; de la matière brute sont sortis les êtres organiques de plus en plus perfectionnés ; du matérialisme sortiront par la force des choses, et par déduction logique, le spiritualisme général, puis le Spiritisme qui n’est autre que le spiritualisme précisé, appuyé sur les faits.
3. — Ce qui s’est passé à l’origine du monde pour la formation des premiers êtres organiques a-t-il lieu de nos jours, par la voie de ce qu’on appelle la génération spontanée ? là est la question. Pour notre compte, nous n’hésitons pas à nous prononcer pour l’affirmative.
Les partisans et les adversaires s’opposent réciproquement des expériences qui ont donné des résultats contraires ; mais ces derniers oublient que le phénomène ne peut se produire que dans des conditions voulues de température et d’aération ; en cherchant à l’obtenir en dehors de ces conditions, ils doivent nécessairement échouer.
On sait, par exemple, que, pour l’éclosion artificielle des œufs, il faut une température régulière déterminée, et certaines précautions minutieuses spéciales. Celui qui nierait cette éclosion parce qu’il ne l’obtiendrait pas avec quelques degrés de plus ou de moins, et sans les précautions nécessaires, serait dans le même cas que celui qui n’obtient pas la génération spontanée dans un milieu impropre. Il nous semble donc que si cette génération s’est forcément produite dans les premiers âges du globe, il n’y a pas plus de raison pour qu’elle ne se produise pas à notre époque, si les conditions sont les mêmes, qu’il n’y en aurait pour qu’il ne se formât pas des calcaires, des oxydes, des acides et des sels, comme dans la première période.
Il est aujourd’hui reconnu que les barbes de la moisissure constituent une végétation qui naît sur la matière organique arrivée à un certain état de fermentation. La moisissure nous paraît être le premier, ou l’un des premiers types de la végétation spontanée, et cette végétation primitive qui se continue, revêtant des formes diverses selon les milieux et les circonstances, nous donne les lichens, les mousses, etc. Veut-on un exemple plus direct ? Qu’est-ce que les cheveux, la barbe et les poils du corps des animaux, sinon une végétation spontanée ?
La matière organique animalisée, c’est-à-dire contenant une certaine proportion d’azote, donne naissance à des vers qui ont tous les caractères d’une génération spontanée. Lorsque l’homme ou un animal quelconque est vivant, l’activité de la circulation du sang et le jeu incessant des organes entretiennent une température et un mouvement moléculaire qui empêchent les éléments constitutifs de cette génération, de se former et de se réunir. Quand l’animal est mort, l’arrêt de la circulation et du mouvement, l’abaissement de la température dans une certaine limite, amènent la fermentation putride, et, par suite, la formation de nouveaux composés chimiques. C’est alors qu’on voit tous les tissus subitement envahis par des myriades de vers qui s’en repaissent, sans doute pour en hâter la destruction. Comment seraient-ils procréés puisqu’il n’y en avait pas de traces auparavant ?
On objectera sans doute les œufs déposés par les mouches sur la chair morte ; mais ceci ne prouverait rien, puisque les œufs de mouches sont déposés à la surface, et non dans l’intérieur des tissus, et que la chair, mise à l’abri des mouches, n’en est pas moins, au bout d’un certain temps, putréfiée et remplie de vers ; souvent même on les voit envahir le corps avant la mort, lorsqu’il y a commencement partiel de décomposition putride, notamment dans les plaies gangreneuses.
Certaines espèces de vers se forment [développent] pendant la vie, même dans un état apparent de santé, surtout chez les individus lymphatiques dont le sang est pauvre et qui n’ont pas la surabondance de vie qu’on remarque chez d’autres ; ce sont les lombrics ou vers intestinaux ; les ténias ou vers solitaires qui atteignent parfois soixante mètres de longueur, et se reproduisent par fragments comme les polypes et certaines plantes ; les dragonneaux, particuliers à la race nègre et à certains climats, d’une longueur de trente à trente-cinq centimètres, minces comme un fil, et qui sortent à travers la peau par des pustules ; les ascarides, † les trichocéphales, † etc. Souvent ils forment des masses si considérables qu’ils obstruent le canal digestif, remontent dans l’estomac et jusque dans la bouche ; ils traversent les tissus, se logent dans les cavités ou autour des viscères, se pelotonnent comme des nids de chenille, et causent de graves désordres dans l’économie. Leur formation pourrait bien être aussi le fait d’une génération spontanée, ayant sa source dans un état pathologique spécial, dans l’altération des tissus, l’affaiblissement des principes vitaux, et dans des sécrétions morbides. Il pourrait en être de même des vers du fromage, de l’acarus de la gale, et d’une foule d’animalcules qui peuvent prendre naissance dans l’air, dans l’eau, et dans les corps organiques. n
On pourrait supposer, il est vrai, que les germes des vers intestinaux sont introduits dans l’économie avec l’air que l’on respire et les aliments, et qu’ils y éclosent ; mais alors surgit une autre difficulté ; on se demanderait pourquoi la même cause ne produit pas sur tous le même effet ; pourquoi tout le monde n’a pas le ver solitaire, † ni même des lombrics, tandis que l’alimentation et la respiration produisent chez tous des effets physiologiques identiques. Cette explication, d’ailleurs, ne serait pas applicable aux vers de la décomposition putride qui viennent après la mort, ni à ceux du fromage et tant d’autres. Jusqu’à preuve contraire, nous sommes porté à les considérer comme étant, du moins en partie, un produit de la génération spontanée, de même que les zoophytes † et certains polypes. †
La différence de sexes que l’on a reconnue, ou cru reconnaître dans quelques vers intestinaux, notamment dans le trichocéphale, † ne serait point une objection concluante, attendu qu’ils n’en appartiennent pas moins à l’ordre des animaux inférieurs, et par cela même primitifs ; or, comme la différence des sexes a dû avoir un commencement, rien ne s’opposerait à ce qu’ils naquissent spontanément mâle ou femelle.
Ce ne sont là, du reste, que des hypothèses, mais qui semblent venir à l’appui du principe. Jusqu’où étend-il son application ? c’est ce qu’on ne saurait dire ; ce que l’on peut affirmer, c’est qu’elle doit être circonscrite aux végétaux et aux animaux de l’organisation la plus simple, et il ne nous paraît pas douteux que nous assistons à une création incessante.
[1] [Les progrès de la science, nous permettent, aujourd’hui, une meilleure compréhension de la question de la contamination et l’incubation de micro-organismes pathologiques.]