1. — Madame la comtesse de Clérambert, dont nous avons parlé dans l’article précédent, offrait une des variétés de la faculté de guérir qui se présente sous une infinité d’aspects et de nuances appropriées aux aptitudes spéciales de chaque individu. Elle était, à notre avis, le type de ce que pourraient être beaucoup de médecins ; de ce que beaucoup seront sans doute quand ils entreront dans la voie de la spiritualité que leur ouvre le Spiritisme, car beaucoup verront se développer en eux des facultés intuitives qui leur seront d’un précieux secours dans la pratique.
Nous l’avons dit, et nous le répétons, ce serait une erreur de croire que la médiumnité guérissante vient détrôner la médecine et les médecins ; elle vient leur ouvrir une nouvelle voie, leur montrer, dans la nature, des ressources et des forces qu’ils ignoraient, et dont ils peuvent faire bénéficier la science et leurs malades ; leur prouver en un mot qu’ils ne savent pas tout, puisqu’il y a des gens qui, en dehors de la science officielle, obtiennent ce qu’ils n’obtiennent pas eux-mêmes. Nous ne faisons donc aucun doute qu’il n’y ait un jour des médecins-médiums, comme il y a des médiums-médecins, qui, à la science acquise, joindront le don de facultés médianimiques spéciales.
Seulement, comme ces facultés n’ont de valeur effective que par l’assistance des Esprits, qui peuvent en paralyser les effets en retirant leur concours, qui déjouent à leur gré les calculs de l’orgueil et de la cupidité, il est évident qu’ils ne prêteront pas leur assistance à ceux qui les renieraient, et entendraient se servir d’eux secrètement au profit de leur propre réputation et de leur fortune. Comme les Esprits travaillent pour l’humanité, et ne viennent pas pour servir les intérêts égoïstes individuels ; qu’ils agissent, en tout ce qu’ils font, en vue de la propagation des doctrines nouvelles, il leur faut des soldats courageux et dévoués, et ils n’ont que faire des poltrons qui ont peur de l’ombre de la vérité. Ils seconderont donc ceux qui mettront, sans réticence et sans arrière-pensée, leurs aptitudes au service de la cause qu’ils s’efforcent de faire prévaloir.
2. — Le désintéressement matériel, qui est un des attributs essentiels de la médiumnité guérissante, sera-t-il aussi une des conditions de la médecine médianimique ? Comment alors concilier les exigences de la profession avec une abnégation absolue ?
Ceci demande quelques explications, car la position n’est plus la même.
La faculté du médium guérisseur ne lui a rien coûté ; elle n’a exigé de lui ni étude, ni travail, ni dépenses ; il l’a reçue gratuitement pour le bien d’autrui, il en doit user gratuitement. Comme il faut vivre avant tout, s’il n’a pas, par lui-même, des ressources qui le rendent indépendant, il doit en chercher les moyens dans son travail ordinaire, comme il l’eût fait avant de connaître la médiumnité ; il ne donne à l’exercice de sa faculté que le temps qu’il peut matériellement y consacrer. S’il prend ce temps sur son repos, et s’il emploie à se rendre utile à ses semblables celui qu’il aurait consacré à des distractions mondaines, c’est du véritable dévouement, et il n’en a que plus de mérite. Les Esprits n’en demandent pas davantage et n’exigent aucun sacrifice déraisonnable. On ne pourrait considérer comme du dévouement et de l’abnégation l’abandon de son état pour se livrer à un travail moins pénible et plus lucratif. Dans la protection qu’ils accordent, les Esprits, auxquels on ne peut en imposer, savent parfaitement distinguer les dévouements réels des dévouements factices.
Tout autre serait la position des médecins-médiums. La médecine est une des carrières sociales que l’on embrasse pour s’en faire un état, et la science médicale ne s’acquiert qu’à titre onéreux, par un labeur assidu souvent pénible ; le savoir du médecin est donc un acquis personnel, ce qui n’est pas le cas de la médiumnité. Si, au savoir humain, les Esprits ajoutent leur concours par le don d’une aptitude médianimique, c’est pour le médecin un moyen de plus de s’éclairer, d’agir plus sûrement et plus efficacement, ce dont il doit être reconnaissant, mais il n’en est pas moins toujours médecin ; c’est son état, qu’il ne le quitte pas pour se faire médium ; il n’y a donc rien de répréhensible à ce qu’il continue d’en vivre, et cela avec d’autant plus de raison que l’assistance des Esprits est souvent inconsciente, intuitive, et que leur intervention se confond parfois avec l’emploi des moyens ordinaires de guérison.
De ce qu’un médecin deviendrait médium, et serait assisté par les Esprits dans le traitement de ses malades, il ne s’ensuivrait donc pas qu’il dût renoncer à toute rémunération, ce qui l’obligerait à chercher en dehors de la médecine des moyens d’existence, et par le fait à renoncer à son état. Mais s’il est animé du sentiment des obligations que lui impose la faveur qui lui est accordée, il saura concilier ses intérêts avec les devoirs de l’humanité.
3. — Il n’en est pas de même du désintéressement moral qui peut et doit dans tous les cas être absolu. Celui qui, au lieu de voir dans la faculté médianimique un moyen de plus d’être utile à ses semblables, n’y chercherait qu’une satisfaction d’amour-propre ; qui se ferait un mérite personnel des succès qu’il obtient par ce moyen, en dissimulant la cause véritable, manquerait à son premier devoir. Celui qui, sans renier les Esprits, ne verrait dans leur concours, direct ou indirect, qu’un moyen de suppléer à l’insuffisance de sa clientèle productive, de quelque apparence philanthropique qu’il se couvre aux yeux des hommes, ferait, par cela même, acte d’exploitation ; dans l’un et l’autre cas de tristes déceptions en seraient la conséquence inévitable, parce que les simulacres et les faux-fuyants ne peuvent abuser les Esprits qui lisent au fond de la pensée.
4. — Nous avons dit que la médiumnité guérissante ne tuera ni la médecine ni les médecins, mais elle ne peut manquer de modifier profondément la science médicale. Il y aura sans doute toujours des médiums guérisseurs, parce qu’il y en a toujours eu, et que cette faculté est dans la nature ; mais ils seront moins nombreux et moins recherchés à mesure que le nombre des médecins-médiums augmentera, et lorsque la science et la médiumnité se prêteront un mutuel appui. On aura plus de confiance dans les médecins quand ils seront médiums, et plus de confiance dans les médiums quand ils seront médecins.
On ne peut contester les vertus curatives de certaines plantes et autres substances que la Providence a mises sous la main de l’homme, en plaçant le remède à côté du mal ; l’étude de ces propriétés est du ressort de la médecine. Or, comme les médiums guérisseurs n’agissent que par l’influence fluidique, sans l’emploi de médicaments, s’ils devaient un jour supplanter la médecine, il en résulterait qu’en dotant les plantes de propriétés curatives, Dieu aurait fait une chose inutile, ce qui n’est pas admissible. Il faut donc considérer la médiumnité guérissante comme un mode spécial et non comme un moyen absolu de guérison ; le fluide, comme un nouvel agent thérapeutique applicable à certains cas, et venant ajouter une nouvelle ressource à la médecine ; par conséquent, la médiumnité guérissante et la médecine, comme devant désormais marcher concurremment, destinées à s’entraider, à se suppléer et à se compléter, l’une par l’autre. Voilà pourquoi on peut être médecin sans être médium guérisseur, et médium guérisseur sans être médecin.
5. — Alors pourquoi cette faculté se développe-t-elle aujourd’hui à peu près exclusivement chez les ignorants plutôt que chez les hommes de science ? Par la raison bien simple que, jusqu’à présent, les hommes de science la repoussent ; quand ils l’accepteront, ils la verront se développer parmi eux comme parmi les autres. Celui qui la posséderait aujourd’hui, irait-il la proclamer ? Non ; il la cacherait avec le plus grand soin. Puisqu’elle serait inutile entre ses mains, à quoi bon la lui donner ? autant vaudrait donner un violon à un homme qui ne sait pas ou ne veut pas en jouer.
A cet état de choses, il y a un autre motif capital. En donnant à des ignorants le don de guérir des maux que ne peuvent guérir les savants, c’est pour prouver à ceux-ci qu’ils ne savent pas tout, et qu’il y a des lois naturelles en dehors de celles que reconnaît la science. Plus la distance entre l’ignorance et le savoir est grande, plus le fait est évident. Lorsqu’il se produit chez celui qui ne sait rien, c’est une preuve certaine que le savoir humain n’y est pour rien.
Mais comme la science ne peut être un attribut de la matière, la connaissance du mal et des remèdes par intuition, ainsi que la faculté voyante, ne peuvent être les attributs que de l’Esprit ; elles prouvent en l’homme l’existence de l’être spirituel, doué de perceptions indépendantes des organes corporels, et souvent des connaissances acquises antérieurement, dans une précédente existence. Ces phénomènes ont donc à la fois pour conséquence d’être utiles à l’humanité, et de prouver l’existence du principe spirituel.