Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année X — Novembre 1867.

(Langue portugaise)

IMPRESSIONS D’UN MÉDIUM INCONSCIENT.


À PROPOS DU ROMAN D’AVENIR. n

Par M. Eug. Bonnemère.

1. — M. Bonnemère a bien voulu nous transmettre, sur le jeune breton dont il est question dans la préface de l’intéressant livre qu’il a publié sous le titre de Roman de l’Avenir, des détails circonstanciés qui complètent ceux que nous avons donnés à ce sujet dans la Revue de juillet 1867, page 215. Ces nouveaux renseignements sont du plus haut intérêt, et nos lecteurs sauront gré à l’auteur, comme nous le remercions nous-même, de les avoir mis à notre disposition. Nous les ferons suivre de quelques remarques.


Monsieur,

Un ami m’envoie fort tardivement le numéro de la Revue spirite dans lequel vous rendez compte du Roman de l’Avenir que j’ai signé de mon nom. Permettez-moi de vous donner quelques éclaircissements au sujet d’un passage de cet article où se trouve cette réflexion : « On nous a dit que, lorsqu’il a écrit ce livre, l’auteur ne connaissait pas le Spiritisme ; cela paraît difficile, etc. »

Cela est cependant rigoureusement vrai. Je l’avoue en toute sincérité et humilité, Monsieur, j’ai eu le tort de ne pas vous offrir ce volume ; je ne suis jamais allé chez vous ; je ne connaissais pas même le titre de la Revue spirite, et ma bibliothèque ne possède aucun ouvrage sur les questions que l’on y traite ; c’est pourquoi j’ai appelé mon jeune breton un extatique naturel, tandis qu’il est pour vous un médium.

J’ai raconté, dans la préface du Roman de l’Avenir par suite de quelle aventure étrange, moi qui fus un historien dans la maturité de ma vie, j’allais devenir un romancier après avoir dépassé la cinquantaine.

Les lecteurs n’ont vu là qu’un de ces procédés familiers aux auteurs pour donner quelque piquant à leur récit. J’atteste sur l’honneur qu’à l’exception d’un détail qui ne fait rien à l’affaire, et qu’il ne m’est pas permis de révéler encore, tout ce que j’avance dans cette préface est vrai, et bien loin d’exagérer, je ne dis pas tout.

Mon jeune breton explique dans vingt passages de ses volumineux manuscrits (près de 18,000 pages) les causes et les effets de cette sorte de condamnation aux travaux forcés qu’il subit en la maudissant.


2. —  Chaque soir, a-t-il écrit à la date du 24 août 1864, je me couche très fatigué après une journée de travail ; je m’endors ; une heure après je me réveille ; je suis triste, un crêpe noir semble m’envelopper ; je suis sans parole, mais je ne souffre pas. Quelque chose de vague est dans mon cerveau ; c’est sous cette impression que mes yeux se referment souvent avec des larmes dans le cœur. Puis au matin je m’éveille avec un mutisme persistant, c’est-à-dire avec d’intolérables souffrances dans le côté gauche et dans le cœur qui ne me permettent pas de retrouver le sommeil. J’éprouve un état d’angoisse intolérable qui me force à me lever. J’étouffe ; il y a du trop plein en moi qu’il faut déverser. Alors je vais à mon bureau, et là je suis contraint de travailler.

« Plus je souffre, plus et mieux je travaille. J’ai alors un débordement d’imagination extrême. Quand une œuvre est composée, et qu’elle n’a plus besoin que d’être jetée sur le papier, j’en invente une autre, sans la chercher jamais, et tout en écrivant mécaniquement celle qui est arrivée à maturité.

« Lorsque je dois servir d’instrument à quelqu’un des amis disparus, son nom résonne à mon oreille. Quand j’écris, ce nom ne me quitte pas, et j’éprouve, même au milieu de mes souffrances physiques parfois aiguës, surtout dans le cœur, une sorte de douceur à écrire ce qu’il met en moi. C’est comme une inspiration, mais bien involontaire. Toutes les fibres de mon être moral sont mises en éveil. Alors je ressens plus vivement ; il me semble que je vibre ; tous les bruits sont plus forts, plus perceptibles ; je vis de vibrations intellectuelles et morales à la fois.

« Lorsque je suis dans cet état de mutisme, je me sens comme enveloppé d’un réseau qui établit une séparation entre mon être intellectuel et la masse des objets matériels ou des personnes qui m’environnent. C’est un isolement absolu au milieu de la foule ; ma parole et mon esprit sont ailleurs. L’être inspirateur qui vient en moi ne me quitte plus ; c’est une sorte de pénétration intime de lui à moi ; je suis comme une éponge imbibée de sa pensée. Je la presse, et il en sort la quintessence de son intelligence, dégagée de toutes les mesquineries de notre vie d’ici-bas.

« Parfois, même sans mutisme, que je sois seul ou avec d’autres, peu importe, je cause, je ris, je parais tout à la conversation des autres, et pourtant je travaille ; les idées s’accumulent, mais fugitives ; j’y suis et n’y suis plus ; je reviens à moi, et n’ai plus souvenance de rien ; mais l’état de mutisme fait revivre les images effacées.

« Si c’est un roman que je dois écrire, le titre me vient d’abord, les événements arrivent ensuite ; c’est quelquefois l’affaire d’un ou deux jour pour le composer en entier. S’il s’agit de choses plus sérieuses, le titre également m’est dicté, puis les pensées surabondent, voire même quand je semble le plus fortement distrait. L’élaboration se fait à son heure jusqu’à l’instant où le trop plein déborde sur le papier.

« Il m’est arrivé souvent, après un long roman terminé, et lorsque je n’avais rien autre chose de tout prêt à être versé sur mes cahiers, d’éprouver cette étrange sensation, comme si, dans mon cerveau, il y avait une case vide. Je souffre beaucoup plus alors ; c’est un état d’atonie complète jusqu’au moment où ma tête se remplit d’autre chose.

« Généralement, dès le soir même, ou le matin dans mon lit, je combine quelque plan nouveau. Parfois, cependant, je me lève sans penser à rien de ce que je vais faire et sans avoir rien élaboré d’avance. Ma bougie allumée, je me mets devant mon papier. J’entends alors du côté gauche, dans l’oreille gauche, un nom, un mot, un sujet de roman en deux ou trois mots. Cela suffit ; les mots se succèdent sans interruption ; les événements viennent s’aligner d’eux-mêmes sous ma plume sans un instant d’arrêt, jusqu’à ce que l’histoire soit terminée. Quand les choses se passent ainsi, c’est qu’il ne s’agit que d’une nouvelle très courte qui sera terminée dans une séance.


3. —  Il y a encore dans mon état une particularité très singulière, c’est lorsque je suis inquiet de la santé de quelqu’un que j’aime. Cela devient véritablement pour moi une atroce maladie, et je crois bien que je souffre plus que la personne elle-même. Durant quelques instants, je suis saisi dans la tête, dans l’estomac, dans le cœur et dans les entrailles, d’une pression pleine d’angoisses qui va jusqu’à une douleur extrême. Il vient un moment où la tête seule souffre. Alors un nom de remède, ou plusieurs noms sont en moi. Je ne veux pas parler, car je doute et crains de faire mal, quand je voudrais tant soulager  ! Mais ces mots reviennent sans cesse ; je suis vaincu, je cède et les dis avec effort, ou je les écris. Alors c’est fini, je n’y pense plus, et tout est effacé. »


Je ne sais pas si je me trompe, mais il me semble retrouver là tous les caractères de la possession d’autrefois, et je crois bien que l’on a brûlé jadis bien des possédés qui n’étaient pas plus sorciers que mon jeune extatique. Evidemment il vit d’une double vie dont chacun n’a aucun rapport avec l’autre. Je l’ai vu souvent, lorsqu’une des personnes qui se confiaient à lui, venait lui dire qu’elle souffrait ; l’œil fixe, les paupières écartées, la pupille dilatée, il semblait écouter, chercher. – « Oui, oui ! » murmurait-il comme s’il se répétait lui-même ce qu’une voix intérieure lui disait. Il indiquait alors le remède nécessaire, causait un moment sur la nature et la cause du mal, puis, peu à peu, tout cela se dissipait, et il n’avait conscience ni de l’instant où l’extase était venue, ni de celui où elle avait cessé. Ce rapide moment d’absence n’existait pas pour lui, et on évitait de lui en parler.


4. —  Je veux et je dois vivre dans l’ombre, a-t-il écrit ailleurs. On me dit : Vous êtes dans une société dévoyée par suite d’une mauvaise direction. Le bien qu’on fait sans intérêt, émanant d’une source naturelle, mais un peu extraordinaire, semble coupable, ridicule, indiscret tout au moins. Il ne faut pas s’exposer à la moquerie, parfois au mépris pour une bonne action. Suivant un vieux proverbe : « Faute avouée est à moitié pardonnée, » on peut dire qu’une bonne action cachée est à moitié pardonnée. Il faut donc faire aux autres le bien sans qu’ils s’en doutent. C’est la véritable charité qui donne sans espérer qu’on lui rende.  »

Tout cela ne s’accomplit pas sans luttes. Parfois il se révolte contre cette obsession tyrannique. Je l’ai vu résister, se débattre avec colère, puis, dompté par une volonté supérieure à la sienne, se mettre à l’ouvrage.


Il avait annoncé un grand et long travail sur la liberté. Il se déclarait incapable de le faire, et protestait qu’il ne le ferait pas. Un matin il écrivit :

« Non, je veux lutter encore aujourd’hui. Je sens que la forme n’est pas venue encore assez claire… Quand donc me laisserez-vous en repos  ?… Je suis brisé !… Ah ! vous appelez cela une liberté de pensée que vous infusez en moi ! Mais c’est la servitude de vos pensées, qu’il faudrait dire ! Vous prétendez que j’en ai le germe, et que c’est me rendre un immense service que de la développer en y ajoutant ce que vous pouvez y mettre !

« Je commencerai par cette question déjà traitée : Qu’est-ce que la vie ? »

Une sorte d’annonce de programme à remplir se continuait ainsi pendant dix pages de son écriture, et avait été écrite en quarante minutes.


5. — Toutes ces choses, qui m’ont paru bien étranges, le seront peut-être moins pour vous, Monsieur. En somme, j’ai foi dans son pouvoir mystérieux, parce qu’il m’a guéri de plus d’une affection qui eût peut-être embarrassé la Faculté. Jamais personne n’est malade auprès de lui sans qu’il écrive sa petite ordonnance. Il le fait souvent malgré lui, sentent bien que l’on ne tiendra pas compte de ses prescriptions. Il terminait un jour par ces lignes une consultation au sujet d’une personne malade de la poitrine que l’on soignait mal, à son avis, et qu’il croyait pouvoir sauver encore :

« Voilà les choses que je puis dire. Qu’on en fasse ce qu’on jugera convenable ; ce sont mes observations, voilà tout. Je n’aurai pas à me reprocher de les avoir laissées dormir en moi. Il ne faut rien faire sans l’avis du médecin. Avec des natures comme ils sont tous, ceci ne peut servir que comme indication. Que l’on ne m’en parle jamais ; que l’on ne me remercie pas. Je ne suis pas un homme, mais une âme qui s’éveille au cri de la souffrance, et qui ne se souvient plus après que le soulagement est arrivé. »

 Quand il n’avait pas de malades sous la main, il écrivait des remèdes généraux pour les affections que la science officielle ne sait pas encore guérir. Que valent ces prescriptions ? Je l’ignore. Toutefois, ce que j’ai vu, ce que j’ai pu expérimenter, me porte à croire qu’elles pourraient peut-être mettre sur la voie de procédés curatifs nouveaux.

Si un individu qui n’a jamais ouvert un livre de médecine écrit, sans en avoir conscience, des remèdes qui peuvent guérir, dans bien des cas, la plupart des maux déclarés aujourd’hui incurables, il me semble incontestable que ces choses lui sont révélées par une puissance inconnue et mystérieuse. En présence d’un pareil fait, la question me paraît tranchée. On doit accepter, comme démontré, qu’il existe des sensitifs auxquels il est accordé de servir d’intermédiaires aux amis disparus qui, n’ayant plus d’organes au service de leur volonté, viennent emprunter la voix ou la main de ces êtres privilégiés, lorsqu’ils veulent guérir notre corps, ou raffermir notre âme en l’éclairant sur les choses qu’il leur est permis de nous faire connaître.

On peut risquer une expérience in anima vili, sur les vers à soie par exemple, qui ne sont plus guère bons qu’à être jetés eux-mêmes aux vers de la tombe, tant ils sont malades. La question est grave, car c’est par centaines de millions de francs qu’il faut compter la perte que nous fait subir chaque année la maladie qui les moissonne. Le résultat à obtenir vaut la peine que l’on tente cette première expérience qui, dans tous les cas, si elle échoue, ne saurait aggraver la situation.

Il peut y avoir ici un mystère, mais j’affirme qu’il n’y a pas de mystification. Si je suis mystifié, il me restera toujours les cent et quelques romans et nouvelles de ce romancier sans le savoir, dont la publication va occuper agréablement les loisirs des dernières années de mon existence, et dont je laisserai la plus grosse part d’autres après moi.

Cet hiver je donnerai un nouveau roman de mon jeune extatique breton. Dans la préface, je transcrirai textuellement tout ce qu’il a écrit sur la guérison des vers à soie ; et j’ajouterai même, si l’on veut, ses prescriptions pour prévenir et guérir le choléra et les maladies de poitrine.

Il importe peu que l’on rie de moi pendant quelques jours ; mais il importe beaucoup que ces secrets dont le hasard m’a fait dépositaire, ne meurent pas avec moi, s’ils contiennent quelque chose de sérieux, et que l’on sache s’il existe des rapports possibles entre les intelligences supérieures de l’autre côté de la vie et les intelligences dociles de celuici ; et je crois qu’il serait fort important pour nous de nouer des relations de plus en plus suivies avec ces morts de bonne volonté qui paraissent disposés à nous rendre de pareils services.

Agréez, etc.

E. BONNEMÈRE.


6. — Le tableau des impressions de ce jeune homme, tracé par lui-même, est d’autant plus remarquable qu’ayant été écrit en l’absence de toute connaissance spirite, il ne peut être le reflet d’idées puisées dans une étude quelconque qui aurait exalté son imagination. C’est l’impression spontanée de ses sensations, d’où ressortent avec la dernière évidence tous les caractères d’une médiumnité inconsciente ; l’intervention d’intelligences occultes y est exprimée sans ambiguïté ; la résistance qu’il oppose, la contrariété même qu’il en ressent, prouvent surabondamment qu’il agit sous l’empire d’une volonté qui n’est pas la sienne. Ce jeune homme est donc un médium dans toute l’acception du mot, et de plus doué de facultés multiples, car il est à la fois médium écrivain, parlant, voyant, auditif, mécanique, intuitif, inspiré, impressible, somnambule, médical, littéraire, philosophe, moraliste, etc.

Mais dans les phénomènes retracés, il n’y a aucun des caractères de l’extase ; c’est donc improprement que M. Bonnemère le qualifie d’extatique, car c’est précisément une des facultés qui lui manquent.

L’extase est un état particulier bien défini, qui ne s’est pas présenté dans le cas dont il s’agit. Il ne paraît pas non plus doué de la médiumnité à effets physiques, ni de la médiumnité guérissante.

Il y a des médiums naturels, comme il y a des somnambules naturels, qui agissent spontanément et inconsciemment ; chez d’autres, les phénomènes médianimiques sont provoqués par la volonté, la faculté est développée par l’exercice, comme chez certains individus le somnambulisme est provoqué et développé par l’action magnétique.

Il y a donc les médiums inconscients et les médiums conscients. La première catégorie, à laquelle appartient le jeune breton, est la plus nombreuse ; elle est presque générale, et l’on peut dire, sans exagération, que sur 100 individus il y en a 90 qui sont doués de cette aptitude à des degrés plus ou moins ostensibles ; si chacun s’étudiait, on trouverait dans ce genre de médiumnité, qui revêt les apparences les plus multiples, la raison d’une foule d’effets qui ne s’expliquent par aucune des lois connues de la matière.


7. — Ces effets, qu’ils soient matériels ou non, apparents ou occultes, pour avoir cette origine, n’en sont pas moins naturels ; le Spiritisme n’admet rien de surnaturel ni de merveilleux ; selon lui tout rentre dans l’ordre des lois de la nature. Lorsque la cause d’un effet est inconnue, il faut la chercher dans l’accomplissement de ces lois, et non dans leur perturbation provoquée par l’acte d’une volonté quelconque, ce qui serait le véritable miracle ; un homme investi du don de miracles aurait le pouvoir de suspendre le cours des lois que Dieu a établies, ce qui n’est pas admissible. Mais l’élément spirituel étant une des forces actives de la nature, donne lieu à des phénomènes spéciaux qui ne paraissent surnaturels que parce qu’on s’obstine à en chercher la cause dans les seules lois de la matière. Voilà pourquoi les Spirites ne font pas de miracles, et n’ont jamais eu la prétention d’en faire. La qualification de thaumaturges, que leur donne la critique par ironie, prouve qu’elle parle d’une chose dont elle ne sait pas le premier mot, puisqu’elle appelle faiseurs de miracles ceux mêmes qui viennent les détruire.


8. — Un autre fait ressort des explications données dans la lettre ci-dessus, c’est que le Roman de l’avenir est bien une œuvre médianimique du jeune breton, et l’on ne peut que savoir gré à M. Bonnemère d’en avoir décliné la paternité. Des pensées aussi élevées et aussi profondes n’avaient rien qui pût nous étonner de sa part, c’est pourquoi nous n’avions pas hésité à les lui attribuer, et nous n’en avions que plus d’estime pour son caractère, et pour son talent d’écrivain qui nous était connu ; mais elles empruntent un intérêt particulier de la source d’où elles émanent ; quelque étrange que cette source paraisse au premier abord, elle n’a rien de surprenant pour quiconque connaît le Spiritisme. Des faits de ce genre se voient fréquemment, et il n’est pas un Spirite un peu éclairé qui ne s’en rende parfaitement compte, sans recourir aux miracles.

Attribuant donc l’ouvrage à M. Bonnemère, et y trouvant des faits et des pensées qui semblent empruntés à la doctrine elle-même, il nous paraissait difficile que l’auteur y fût étranger. Dès lors qu’il affirme le contraire, nous le croyons sans peine, et nous trouvons dans son ignorance même la confirmation de ce fait maintes fois répété dans nos écrits, que les idées spirites sont tellement dans la nature qu’elles germent en dehors de l’enseignement du Spiritisme, et qu’une foule de gens sont ou deviennent Spirites sans le savoir et par intuition ; il ne manque à leurs idées que le nom. Le Spiritisme est comme ces plantes dont les semences sont portées par les vents et qui poussent sans culture ; il naît spontanément dans la pensée, sans étude préalable. Que peuvent donc contre lui ceux qui rêvent son anéantissement en frappant la souche mère ?


9. — Ainsi, voici un médium complet, remarquable, et un observateur qui ne se doutent ni l’un ni l’autre de ce que c’est que le Spiritisme, et l’observateur, par une déduction logique de ce qu’il voit, arrive de lui-même à toutes les conséquences du Spiritisme. Ce qu’il constate d’abord, c’est que les faits qu’il a sous les yeux lui présentent, dans le même individu, une double vie dont l’une n’a aucun rapport avec l’autre.

Evidemment ces deux vies, où se manifestent des pensées divergentes, sont soumises à des conditions différentes ; elles ne peuvent toutes les deux procéder de la matière ; c’est la constatation de la vie spirituelle ; c’est l’âme que l’on voit agir en dehors de l’organisme. Ce phénomène est très vulgaire ; il se produit journellement pendant le sommeil du corps, dans les rêves, dans le somnambulisme naturel ou provoqué, dans la catalepsie, dans la léthargie, dans la double vue, dans l’extase. Le principe intelligent isolé de l’organisme est un fait capital, car c’est la preuve de son individualité. L’existence, l’indépendance et l’individualité de l’âme peuvent ainsi être le résultat de l’observation. Si, pendant la vie du corps, l’âme peut agir sans le concours des organes matériels, c’est qu’elle a une existence propre ; l’extinction de la vie corporelle n’entraîne donc pas forcément celle de la vie spirituelle. On voit par là où, de conséquence en conséquence, on arrive par une déduction logique.

M. Bonnemère n’est point arrivé à ce résultat par une théorie préconçue, mais par l’observation ; le Spiritisme n’a pas procédé autrement ; l’étude des faits a précédé la doctrine, et les principes n’ont été formulés, comme dans toutes les sciences d’observation, qu’au fur et à mesure qu’ils ont été déduits de l’expérience. M. Bonnemère a fait ce que peut faire tout observateur sérieux, car les phénomènes spontanés qui ressortent du même principe sont nombreux et vulgaires ; seulement, M. Bonnemère n’ayant vu qu’un point, n’a pu arriver qu’à une conclusion partielle, tandis que le Spiritisme, ayant embrassé l’ensemble de ces phénomènes si complexes et si variés, a pu les analyser, les comparer, les contrôler les uns par les autres, et y trouver la solution d’un plus grand nombre de problèmes.

Puisque le Spiritisme est un résultat d’observations, quiconque a des yeux pour voir, du jugement pour raisonner, de la patience et de la persévérance pour aller jusqu’au bout, pourrait arriver à constituer le Spiritisme, de même qu’on pourrait reconstituer toutes les sciences ; mais le travail étant tout fait, c’est du temps gagné et de la peine épargnée. S’il fallait sans cesse recommencer, il n’y aurait pas de progrès possible.

Comme les phénomènes spirites sont dans la nature, ils se sont produits à toutes les époques ; et précisément parce qu’ils touchent d’une manière plus directe à la spiritualité, ils se trouvent mêlés à toutes les théogonies. Le Spiritisme, venu à une époque moins accessible aux préjugés, éclairé par le progrès des sciences naturelles qui manquaient aux premiers hommes, et par une raison plus développée, a pu mieux observer qu’on ne le faisait jadis ; il vient aujourd’hui dégager ce qui est vrai de l’alliage introduit par les croyances superstitieuses, filles de l’ignorance.


10. — M. Bonnemère se félicite du hasard qui lui a mis entre les mains les documents fournis par le jeune breton. Le Spiritisme n’admet pas plus le hasard que le surnaturel dans les événements de la vie. Le hasard, qui par sa nature est aveugle, se montrerait parfois singulièrement intelligent. Nous pensons donc que c’est intentionnellement que ces documents sont venus en sa possession après qu’il a été mis à même d’en constater l’origine. Entre les mains du jeune homme, ils eussent été perdus, et c’est sans doute ce qui ne devait pas être. Il fallait donc que quelqu’un se chargeât de les tirer de l’obscurité, et c’est, paraît-il, à M. Bonnemère qu’est dévolue cette mission.


11. — Quant à la valeur de ces documents, à en juger par l’échantillon des pensées contenues dans le Roman de l’avenir, il doit assurément y avoir d’excellentes choses ; toutes sont-elles bonnes ? c’est une autre question.

Sous ce rapport leur origine n’est pas une garantie d’infaillibilité, attendu que les Esprits, n’étant que les âmes des hommes, n’ont pas la souveraine science. Leur avancement étant relatif, il y en a de plus éclairés les uns que les autres ; s’il y en a qui savent plus que les hommes, il y a aussi des hommes qui savent plus que certains Esprits. Jusqu’à ce jour on a considéré les Esprits comme des êtres en dehors de l’humanité, et doués de facultés exceptionnelles ; c’est là une erreur capitale qui a engendré tant de superstitions et que le Spiritisme est venu rectifier. Les Esprits font partie de l’humanité, et jusqu’à ce qu’ils aient atteint le point culminant de la perfection vers lequel ils gravitent, ils sont sujets à se tromper. C’est pourquoi on ne doit jamais faire abnégation de son libre arbitre et de son jugement, même à l’égard de ce qui vient du monde des Esprits ; il ne faut jamais rien accepter les yeux fermés, et sans le contrôle sévère de la logique. Sans rien préjuger sur les documents en question, il se pourrait donc qu’il y eût du bon et du mauvais, du vrai et du faux, et que, par suite, il y eût à faire un choix judicieux pour lequel les principes de la doctrine peuvent fournir d’utiles indications.


12. — Au nombre de ces principes, il en est un qu’il importe de ne pas perdre de vue, c’est le but providentiel de la manifestation des Esprits ; ils viennent pour attester leur existence et prouver à l’homme que tout ne finit pas pour lui avec la vie corporelle ; ils viennent l’instruire sur sa condition future, l’exciter à acquérir ce qui est utile à son avenir et ce qu’il peut emporter, c’est-à-dire les qualités morales, mais non pour lui donner les moyens de s’enrichir. Le soin de sa fortune et de l’amélioration de son bien-être matériel doit être le fait de sa propre intelligence, de son activité, de son travail et de ses recherches. S’il en était autrement, le paresseux et l’ignorant pourraient s’enrichir sans peine, puisqu’il suffirait de s’adresser aux Esprits pour obtenir une invention lucrative, faire découvrir des trésors, gagner à la bourse ou à la loterie ; aussi toutes les espérances de fortune fondées sur le concours des Esprits ont-elles déplorablement échoué.

C’est ce qui nous inspire quelques doutes sur l’efficacité du procédé pour les vers à soie, procédé qui aurait pour effet de faire gagner des millions, et d’accréditer l’idée que les Esprits peuvent donner les moyens de s’enrichir, idée qui pervertirait l’essence même du Spiritisme. Il serait donc imprudent de se créer des chimères à ce sujet, car il pourrait en être ici comme de certaines recettes qui devaient faire couler le Pactole  †  en certaines mains, et qui n’ont abouti qu’à de ridicules mystifications. Ce n’est cependant pas une raison pour taire le procédé, et pour le négliger ; si le succès doit avoir un résultat plus important et plus sérieux que la fortune, il se peut qu’une pareille révélation soit permise. Mais dans l’incertitude, il est bon de ne pas se bercer d’espérances qui pourraient être déçues. Nous approuvons donc le projet de M. Bonnemère de publier les recettes qui ont été données à son jeune breton, parce que, dans le nombre, il peut s’en trouver d’utiles, surtout pour les maladies.



[1] [Le Roman de l’avenir, par E. Bonnemère - Google Books.]


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