1. — Un médecin, que nous désignerons sous le nom de docteur Claudius, connu de quelques-uns de nos collègues, et dont la vie avait été une profession de foi matérialiste, est mort il y a quelque temps d’une affection organique qu’il savait être incurable. Appelé, sans doute, par la pensée de ceux qui l’avaient connu et qui désiraient connaître sa position, il s’est manifesté spontanément par l’entremise de M. Morin, l’un des médiums de la société, en état de somnambulisme spontané.
Déjà plusieurs fois ce phénomène s’est produit par ce médium et d’autres endormis du sommeil spirituel.
L’Esprit qui se manifeste ainsi s’empare de la personne du médium, se sert de ses organes comme s’il était encore vivant. Ce n’est plus alors une froide communication écrite ; c’est l’expression, la pantomime, l’inflexion de voix de l’individu que l’on a devant les yeux.
C’est dans ces conditions que s’est manifesté le docteur Claudius sans avoir été évoqué. Sa communication, que nous rapportons textuellement ci-après, est instructive à plus d’un titre, principalement en ce qu’elle dépeint les sentiments qui l’agitent ; le doute fait encore son tourment ; l’incertitude de sa situation le plonge dans une terrible perplexité, et c’est là sa punition. C’est un exemple de plus qui vient confirmer ce que l’on a vu maintes fois en pareil cas.
2. — Après une dissertation sur un autre sujet, le médium absorbé se recueille quelques instants, puis, comme s’il se réveillait péniblement, s’exprime ainsi, se parlant à lui-même :
Ah ! encore un système !… Qu’y a-t-il de vrai et de faux dans l’existence humaine, dans la création, dans la créature, dans le créateur ?… La chose est-elle ?… La matière est-elle bien vraie ?… La science, est-ce une vérité ?… Le savoir, un acquis ?… L’âme… l’âme existe-t-elle ?
Le créateur, la divinité, n’est-ce pas un mythe ?… Mais, que dis-je ?… pourquoi ces blasphèmes multipliés ?… Pourquoi, en face de la matière, ne puis-je croire, ô mon Dieu, ne puis-je voir, sentir comprendre ?
Matière !… matière !… mais, oui, tout est matière… Tout est matière ! ! !… et pourtant, l’invocation à Dieu est arrivée à ma bouche !…
Pourquoi donc ai-je dit : ô mon Dieu ?… Pourquoi ce mot, puisque tout est matière ?… Suis-je ?… N’est-ce pas un écho de ma pensée qui résonne et qui s’écoute ?… Ne sont-ce pas les derniers tintements de la cloche que j’agitai ?
Matière !… Oui, la matière existe, je le sens !… La matière existe ; je l’ai touchée !… mais !… tout n’est pas matière, et pourtant… pourtant, tout a été ausculté, palpé, touché, analysé, disséqué fibre à fibre, et rien !… Rien que la chair, la matière toujours, qui, dès l’instant que le grand mouvement était arrêté, s’arrêtait aussi !… Le mouvement s’arrête, l’air n’arrive plus… Mais !… si tout est matière, pourquoi ne se remet-elle plus en mouvement, puisque tout ce qui existait lorsqu’elle s’agitait, existe encore ?… Et pourtant… lui n’existe plus !…
Mais si, je suis !… tout n’est pas fini avec le corps !… En vérité… suis-je bien mort ?… pourtant ce rongeur que j’ai nourri, que j’ai soigné de mes mains, il ne m’a point pardonné !… C’est vrai ; je suis mort !…
Mais cette maladie que j’ai vue naître… grandir… avait-elle une âme ?
Ah ! le doute ! toujours le doute !… en réponse à toutes mes secrètes aspirations !… Mais, si je suis, ô mon Dieu, si je suis,… ah ! faites-moi me reconnaître !… faites-moi vous pressentir !… car, si je suis, quelle longue succession de blasphèmes !… quelle longue négation de votre sagesse, de votre bonté, de votre justice !… Quelle immense responsabilité d’orgueil j’ai assumée sur ma tête, ô mon Dieu !… Mais si, j’ai encore un moi, moi qui ne voulais rien admettre en dehors du possible au toucher… J’ai douté de votre sagesse, ô mon Dieu ! il est juste que je doute !… Oui, j’ai douté ; le doute me poursuit et me punit.
Oh ! mille morts plutôt que le doute dans lequel je vis !… Je vois, je rencontre d’anciens amis… et pourtant, ils sont tous morts avant !…
Méry ! mon pauvre fou !… mais ne le suis-je pas plutôt, moi ?…
l’épithète de fou s’adapte-t-elle à sa personnalité ? – Voyons donc ; qu’est-ce que la folie ?…
La folie !… la folie !… décidément, la folie est universelle ! ! !
tous les hommes sont fous à un degré plus ou moins grand… mais sa folie,
à lui, [référence au poète Méry : Un
souvenir d’existences passées ;] n’était-elle pas de la sagesse
à côté de ma folie à moi ?… A lui, les songes, les images, les
aspirations au delà de… mais, c’est justice !…
Connaissais-je cet inconnu qui se présente inopinément à moi ?… Non, non, le néant n’existe pas, car s’il existait, cette incarnation de négation, de crimes, d’infamie, ne me torturerait pas ainsi !… Je vois, mais je vois trop tard, tout le mal que j’ai fait !… Le voyant aujourd’hui, et le réparant peu à peu, peut-être serai-je digne un jour de voir et de faire le bien !…
Systèmes !… systèmes orgueilleux, produits des cerveaux humains, voilà où vous nous menez !… Chez l’un, c’est la divinité ; chez l’autre, la divinité matérielle et sensuelle ; chez un autre, le néant, rien !… Néant, divinité matérielle, divinité spirituelle, sont-ce des mots ?… Oh ! je demande à voir, mon Dieu !… et si j’existe, si vous existez, accordez-moi la faveur que je vous demande ; agréez ma prière, car je vous prie, ô mon Dieu, de me faire voir si j’existe, si je suis !… (Ces dernières paroles sont dites avec un accent déchirant.)
Remarque. Si M. Claudius a persévéré jusqu’à la fin dans son incrédulité, ce ne sont pas les moyens de s’éclairer qui lui ont manqué ; comme médecin, il avait nécessairement l’esprit cultivé, l’intelligence développée, un savoir au-dessus du vulgaire, et pourtant cela ne lui a pas suffi. Dans ses minutieuses investigations de la nature morte et de la nature vivante, il n’a pas entrevu Dieu, il n’a pas entrevu l’âme ! En voyant les effets, il n’a pas su remonter à la cause ! ou, pour mieux dire, il s’était fait une cause à sa manière, et son orgueil de savant l’empêchait de s’avouer à lui-même, d’avouer surtout à la face du monde qu’il pouvait s’être trompé. Circonstance digne de remarque, il est mort d’un mal organique qu’il savait, par sa science même, être incurable ; ce mal qu’il soignait était un avertissement permanent ; la douleur qu’il lui causait était une voix qui lui criait sans cesse de songer à l’avenir. Cependant rien n’a pu triompher de son obstination ; il a fermé les yeux jusqu’au dernier moment. Est-ce que cet homme eût jamais pu devenir Spirite ? assurément non ; ni faits, ni raisonnements n’eussent pu vaincre une opinion arrêtée de parti pris, et dont il était résolu de ne pas dévier. Il était de ces hommes qui ne veulent pas se rendre à l’évidence, parce que l’incrédulité est innée en eux, comme chez d’autres la croyance ; le sens par lequel ils pourront un jour s’assimiler les principes spirituels n’est pas encore éclos ; ils sont pour la spiritualité ce que sont les aveugles-nés pour la lumière : ils ne la comprennent pas.
L’intelligence ne suffit donc pas pour conduire sur le chemin de la vérité ; elle est comme un cheval qui nous mène, et qui suit la route sur laquelle on l’a lancé ; si cette route conduit à une fondrière, elle y précipite le cavalier ; mais, en même temps, elle lui donne les moyens de se relever.
M. Claudius étant mort volontairement en aveugle spirituel, il n’est pas étonnant qu’il n’ait pas vu tout de suite la lumière ; qu’il ne se reconnaisse pas dans un monde qu’il n’a pas voulu étudier ; que, mort avec l’idée du néant, il doute de sa propre existence ; incertitude poignante qui fait son tourment. Il est tombé dans le précipice où il a poussé son coursier-intelligence. Mais il peut se relever de cette chute, et déjà il semble entrevoir une lueur qui, s’il la suit, le conduira au port.
C’est dans ses louables efforts qu’il faut le soutenir par la prière ; quand une fois il aura joui des bienfaits de la lumière spirituelle, il aura horreur des ténèbres du matérialisme ; et, s’il revient un jour sur la terre, ce sera avec des intuitions et des aspirations tout autres que celles qu’il avait dans sa dernière existence.