Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année VIII — Juillet 1865.

(Langue portugaise)

AIR ET PAROLES DU ROI HENRI III.

1. — Le Grand Journal du 4 juin 1865 relate le fait suivant :

« Tous les éditeurs et tous les amateurs de musique de Paris  †  connaissent M. N. G. Bach, élève de Zimmermann,  †  premier prix de piano du Conservatoire, au concours de 1819, un de nos professeurs de piano les plus estimés et les plus honorés, arrière-petit-fils du grand Sébastien Bach, dont il porte dignement le nom illustre.

« Informé par notre ami commun, M. Dollingen, administrateur du Grand Journal, que l’appartement de M. N. G. Bach avait été le théâtre d’un véritable prodige dans la nuit du 5 mai dernier, j’ai prié Dollingen de me conduire chez M. Bach, et j’ai été accueilli au nº 8 de la rue Castellane  †  avec une exquise courtoisie. Inutile d’ajouter, je pense, que c’est après avoir obtenu l’autorisation expresse du héros de cette histoire merveilleuse que je me permets de la raconter à mes lecteurs.

« Le 4 mai dernier, M. Léon Bach, qui est un curieux doublé d’un artiste, apporta à son père une épinette  †  admirablement sculptée. Après de longues et minutieuses recherches, M. Bach découvrit, sur une planche intérieure, l’état civil de l’instrument ; il date du mois d’avril 1564, et c’est à Rome  †  qu’il a été fabriqué.

« M. Bach passa une partie de la journée dans la contemplation de sa précieuse épinette. Il y pensait en se couchant ; lorsque le sommeil vint fermer sa paupière, il y pensait encore.

« Il n’y a donc pas lieu de s’étonner qu’il ait eu le songe suivant :

« Au plus profond de son sommeil, M. Bach vit apparaître au chevet de son lit un homme qui avait une longue barbe, des souliers arrondis par le bout, avec de grosses bouffettes dessus, une culotte très large, un pourpoint à manches collantes avec des crevés dans le haut, une grande collerette auteur du cou, et coiffé d’un chapeau pointu à larges bords.

« Ce personnage se baissa vers M. Bach et lui tint ce discours :

« L’épinette que tu possèdes m’a appartenu. Elle m’a souvent servi à distraire mon maître le roi Henri III. Lorsqu’il était très jeune, il composa un air  †  avec paroles qu’il se plaisait à chanter et que je lui jouai bien des fois. Cet air et ces paroles il les composa en souvenir d’une femme qu’il rencontra dans une partie de chasse et dont il devint amoureux. On l’éloigna de lui ; on dit qu’elle fut empoisonnée, et le roi en eut une grande douleur. Chaque fois qu’il était triste, il fredonnait cette romance. Alors pour le distraire, je jouais sur mon épinette une sarabande de ma composition qu’il aimait beaucoup. Aussi je confondais toujours ces deux morceaux et je ne manquais pas de les jouer l’un après l’autre. Je vais te les faire entendre. »

« Alors l’homme du rêve s’approcha de l’épinette, fit quelques accords et chanta l’air avec tant d’expression que M. Bach se réveilla tout en larmes. Il alluma une bougie, regarda l’heure, constata qu’il était deux heures après minuit et ne tarda pas à s’endormir de nouveau.

« C’est ici que l’extraordinaire commence.

« Le lendemain matin, à son réveil, M. Bach ne fut pas médiocrement surpris de trouver sur son lit une page de musique couverte d’une écriture très fine et de notes microscopiques. C’est à peine si, avec l’aide de son binocle, M. Bach, qui est très myope, parvint à se reconnaître au milieu de ce griffonnage.

« L’instant d’après, le petit-fils de Sébastien s’asseyait à son piano et déchiffrait le morceau. La romance,  †  les paroles et la sarabande  †  étaient exactement conformes à celles que l’homme du rêve lui avait fait entendre pendant son sommeil !

« Or, M. Bach n’est pas somnambule ; or, il n’a jamais écrit un seul vers de sa vie et les règles de la prosodie lui sont complètement étrangères.

« Voici le refrain et les trois couplets tels que nous les avons copiés sur le manuscrit. Nous leur conservons leur orthographe qui, disons-le en passant, n’est nullement familière à M. Bach :


        J’ay perdu celle

Pour quy j’avois tant d’amour ;

        Elle sy belle

Avoit pour moy chaque jour

        Faveur nouvelle

        Et nouveau désir.

        Oh ! ouy sans elle,

        Il me faut mourir !


Un jour pendant une chasse lointaine,

Je l’aperçus pour la première fois,

Je croyois voir un ange dans la plaine

Lors je devins le plus heureux des rois !


Je donnerois certes tout mon royaume

Pour la revoir encor un seul instant ;

Près d’elle assis dessous un humble chaume

Pour sentir mon cœur battre en l’admirant.


Triste et cloistrée, oh ! ma pauvre belle,

Fut loin de moy pendant ses derniers jours.

Elle ne sent plus sa peine cruelle ;

Icy bas, hélas ! je souffre toujours.


« Dans cette romance plaintive, ainsi que dans la sarabande joyeuse qui la suit, l’orthographe musicale n’est pas moins archaïque que l’orthographe littéraire. Les clefs  †  sont faites autrement qu’on a l’habitude de les indiquer de nos jours. La basse  †  est écrite dans un ton et le chant dans un autre. M. Bach a eu l’obligeance de me faire entendre ces deux morceaux, qui sont d’une mélodie simple, naïve et pénétrante. Au reste, nos lecteurs ne tarderont pas à pouvoir les juger en connaissance de cause. Ils sont entre les mains des graveurs et paraîtront dans le courant de la semaine chez l’éditeur Legouix, boulevard Poissonnière,  †  nº 27.

« Le journal de l’Estoile nous apprend que le roi Henri III eut une grande passion pour Marie de Clèves,  †  marquise d’Isles, morte à la fleur de l’âge dans une abbaye, le 15 octobre 1574. Ne serait-ce pas « la pauvre belle triste et cloistrée » dont il est fait mention dans les couplets ? Le même journal nous apprend aussi qu’un musicien italien, nommé Baltazarini, vint en France à cette époque et qu’il fut un des favoris du roi. L’épinette a-t-elle appartenu à Baltazarini ? Est-ce l’Esprit de Baltazarini qui a écrit la romance et la sarabande ? – Mystère que nous n’osons pas approfondir. »

ALBÉRIC SECOND.


2. — A la suite des paroles, le Grand Journal a inséré la musique que nous regrettons de ne pouvoir reproduire ici ; mais comme elle est actuellement en vente, il sera facile aux amateurs de se la procurer. (Voir aux notices bibliographiques.)


M. Albéric Second termine son récit par ces mots : «  Mystère que nous n’osons pas approfondir ! » Et pourquoi ne l’osez-vous pas ? Voilà un fait dont l’authenticité vous est démontrée, ainsi que vous le reconnaissez vous-même, et parce qu’il touche à la vie mystérieuse d’outre-tombe, vous n’osez pas en rechercher la cause ! vous tremblez de le regarder en face ! Avez-vous donc, malgré vous, peur des revenants, ou craignez-vous d’acquérir la preuve que tout n’est pas fini avec la vie du corps  ? Il est vrai que pour un sceptique qui ne voit rien et ne croit à rien au-delà du présent, cette cause est assez difficile à trouver.

Cependant, par cela même, que ce fait est plus étrange, et paraît s’écarter des lois connues, il doit d’autant mieux faire réfléchir, éveiller tout au moins la curiosité. On dirait vraiment que certaines gens ont peur de voir trop clair, parce qu’il leur faudrait convenir qu’ils se sont trompés.

Voyons cependant les déductions que tout homme sérieux peut tirer de ce fait, abstraction faite de toute idée spirite.

M. Bach reçoit un instrument dont il constate l’antiquité, ce qui lui cause une grande satisfaction. Préoccupé de cette idée, il est naturel qu’elle provoque un rêve ; il voit un homme dans le costume du temps, touchant de cet instrument, et chantant un air de l’époque ; rien assurément là qui ne puisse, à la rigueur, être attribué à l’imagination surexcitée par l’émotion et le souvenir de la veille, surtout chez un musicien. Mais ici le phénomène se complique ; l’air et les paroles ne peuvent être une réminiscence, puisque M. Bach ne les connaissait pas.

Qui donc a pu les lui révéler, si l’homme qui lui est apparu n’est qu’un être fantastique sans rivalité ? Que l’imagination surexcitée fasse revivre en la mémoire des choses oubliées, cela se conçoit ; mais aurait-elle donc le pouvoir de nous donner des idées nouvelles ; de nous apprendre des choses que nous ne savons pas, que nous n’avons jamais sues, dont nous ne nous sommes jamais occupés ? Ce serait là un fait d’une haute gravité, et qui vaudrait bien la peine d’être examiné, car ce serait la preuve que l’esprit agit, perçoit et conçoit indépendamment de la matière. Passons encore là-dessus, si l’on veut ; ces considérations sont d’un ordre si élevé et si abstrait, qu’il n’est pas donné à tout le monde de les scruter, ni même d’y arrêter sa pensée.


3. — Venons au fait le plus matériel, le plus positif, celui de cette même musique écrite avec les paroles. Est-ce là un produit de l’imagination ?

La chose est là, palpable, sous les yeux. C’est ici qu’un examen scrupuleux des circonstances est indispensable. Pour ne pas nous lancer dans le champ des hypothèses, disons, avant d’aller plus loin, que M. Bach, que nous n’avions pas l’honneur de connaître, a bien voulu prendre la peine de venir nous voir et nous soumettre l’original de la pièce en question. Nous avons donc pu recueillir, de sa bouche, tous les renseignements nécessaires pour éclairer notre opinion, en même temps qu’il a rectifié sur quelques points le compte rendu du journal.

Tout s’est bien passé dans le rêve comme il est indiqué ; mais ce n’est pas dans cette même nuit que le papier a été apporté. Le lendemain, M. Bach cherchait à se rappeler l’air qu’il avait entendu ; il se mit à son épinette et parvint à noter la musique, quoique imparfaitement. Environ trois semaines après, le même individu lui apparut une seconde fois ; cette fois il chanta la musique et les paroles, et lui dit qu’il allait lui donner un moyen pour les fixer dans sa mémoire. C’est alors qu’à son réveil il trouva le papier sur son lit. S’étant levé, il déchiffra cet air sur son instrument et reconnut que c’était bien celui qu’il avait entendu, ainsi que les paroles, dont il ne lui était resté qu’un souvenir confus.

Il reconnut aussi le papier pour lui appartenir ; c’était une feuille double de papier à musique ordinaire, sur l’un des feuillets de laquelle il avait écrit plusieurs choses de sa main. Ce papier était, avec beaucoup d’autres, dans un bureau à cylindre fermé, et placé dans une autre pièce.

Il fallait donc que quelqu’un l’eût sorti de là pour le porter sur son lit pendant qu’il dormait. Or, personne, de chez lui, à sa connaissance, ne pouvait l’avoir fait. Qui donc pouvait-ce être ? Là est le mystère redoutable que M. Albéric Second n’ose pas approfondir.

C’est sur le feuillet blanc qu’il trouva l’air noté selon la méthode et les signes du temps. Les paroles sont écrites avec une extrême précision, chaque syllabe exactement placée sous la note correspondante. Le tout est tracé à la mine de plomb. L’écriture est très fine, mais très nette et très lisible ; la forme des lettres est caractéristique : c’est celle qu’on voit dans les manuscrits de l’époque.

M. Bach n’était ni sceptique, ni matérialiste, et encore moins athée ; mais, comme beaucoup de gens, il était dans la nombreuse classe des indifférents, se préoccupant assez peu des questions philosophiques. Il ne connaissait le Spiritisme que de nom. Ce dont il venait d’être témoin, éveilla son attention ; loin de n’oser approfondir ce mystère, il se dit : approfondissons. Il lut les ouvrages spirites, et commença à se rendre compte, et c’est dans le but d’avoir de plus amples renseignements qu’il nous a honoré de sa visite. Aujourd’hui le fait n’a plus rien de mystérieux pour lui, et lui paraît tout naturel ; il est de plus très heureux de la foi et des connaissances nouvelles que cette circonstance l’a mis à même d’acquérir ; voilà ce qu’il y a gagné.

Il sait pertinemment que ni la musique ni les paroles ne pouvaient venir de lui ; il ne doutait pas qu’elles ne lui eussent été dictées par le personnage qui lui était apparu ; mais il se demandait qui avait pu les écrire, et si ce ne pourrait être lui-même dans un état somnambulique, quoiqu’il n’ait jamais été somnambule. La chose était possible, mais, en l’admettant, cela n’en prouverait que mieux l’indépendance de l’âme, ainsi que tous les faits de ce genre, si curieux et si nombreux, et dont cependant la science ne s’est jamais préoccupée. Une particularité semble détruire cette opinion, c’est que l’écriture n’a aucun rapport avec celle de M. Bach ; il faudrait que, dans l’état somnambulique, il eût changé son écriture habituelle pour prendre celle du seizième siècle, ce qui n’est pas présumable. Serait-ce une espièglerie de quelqu’un de sa maison ? Mais il est constant pour lui, qu’en supposant l’intention, personne n’avait les connaissances nécessaires pour l’exécuter ; or, si lui, qui avait eu le rêve, n’avait qu’un souvenir insuffisant pour transcrire et paroles et musique, comment une personne étrangère s’en serait-elle mieux souvenue ? le soin avec lequel la chose était écrite, aurait, d’ailleurs, exigé beaucoup de temps et requis une grande habileté pratique.

Un autre point important à éclaircir, était le fait historique de cette première passion du roi, dont aucune histoire ne fait mention, et qui lui aurait inspiré ce chant mélancolique. Le fils de M. Bach s’étant adressé à un de ses amis attaché à la bibliothèque impériale à l’effet de savoir s’il existerait quelque document à ce sujet, il lui fut répondu que s’il en existait ce ne pouvait être que dans le journal de l’Estoile qui se publiait à cette époque. Des recherches faites immédiatement amenèrent la découverte du passage rapporté ci-dessus. La mère d’Henry III craignant l’empire que cette femme, d’un esprit supérieur, pourrait exercer sur son fils, la fit cloîtrer, puis périr. Le roi ne put se consoler de cette perte dont il conserva toute sa vie un profond chagrin. N’est-il pas singulier que ce chant relate précisément un fait ignoré de tout le monde, et de M. Bach par conséquent, et qui plus tard, se trouve confirmé par un document de l’époque enfoui dans une bibliothèque ? Cette circonstance a une importance capitale en ce qu’elle prouve d’une manière irrécusable que ces paroles ne peuvent être de la composition de M. Bach, ni d’aucune personne de la maison ; toute supposition de supercherie tombe devant ce fait matériel.

Le Spiritisme seul pouvait donner la clef de ce fait par la connaissance de la loi qui régit les rapports du monde corporel avec le monde spirituel. Il n’y a là rien de merveilleux ni de surnaturel. Tout le mystère est dans l’existence du monde invisible composé des âmes qui ont vécu sur la terre, et qui n’interrompent pas leurs relations avec les survivants.

Montrez à quelqu’un, ignorant l’électricité, qu’on peut correspondre à deux cents lieues en quelques minutes, cela lui paraîtra miraculeux ; expliquez-lui la loi de l’électricité, il trouvera la chose toute naturelle.

Ainsi en est-il de tous les phénomènes spirites.


4. — Dans une séance de la société Spirite de Paris, à laquelle assistait M. Bach, l’Esprit qui lui était apparu, donna les explications suivantes sur le fait que nous venons de rapporter.


(Société spirite de Paris, 9 juin 1865. – Médium, M Morin.)

1. Demande (au guide spirituel du médium). Pouvons-nous appeler l’Esprit qui s’est manifesté à M. Bach ? – Réponse. Mon enfant, la grave question à laquelle donne lieu cette manifestation spontanée est toute naturelle ; elle doit dès ce soir être résolue, afin de ne laisser aucun doute sur la manière dont la musique a été faite. L’Esprit est là, et il répondra très nettement aux demandes qui lui seront adressées.


2. D. (à l’Esprit qui s’est manifesté à M. Bach). Puisque vous avez bien voulu venir parmi nous en devançant notre appel, nous vous serons reconnaissants de nous donner l’explication du phénomène qui s’est produit par votre intervention. Nous désirerions aussi savoir pourquoi M. Bach a été choisi de préférence pour cette manifestation, et quelle participation il a eue à la production du phénomène ?

R. Je vous remercie de la bienveillance avec laquelle vous m’accueillez parmi vous. Je comprends l’importance que vous donnez à ce fait, qui ne doit cependant pas vous étonner, puisque ce genre de manifestation est presque général aujourd’hui et connu de beaucoup de monde.

Je réponds d’abord à votre première question. M. Bach a été choisi pour deux raisons : la première est la sympathie qui m’unit à lui ; la seconde est toute dans l’intérêt de la doctrine spirite. Placé comme il l’est dans le monde, son âge, sa longue carrière si honorablement remplie, ses rapports avec la presse et le monde savant, ont fait de lui le meilleur instrument pour donner de la publicité à des faits qui, jusqu’à ce jour, n’étaient imprimés que par les journaux spirites. On vous l’a dit souvent, le jour est arrivé où le Spiritisme, prenant droit d’asile partout où il y a raisonnement, logique et bon sens, sera accepté dans les journaux mêmes qui l’ont dénigré.

Sur la seconde question : oui, vous avez raison de chercher à savoir, afin de ne pas donner prise aux équivoques. L’apport, car c’en est un, a été fait, et il participe de l’Esprit, qui est moi, et de M. Bach, dans le rêve pur et en rapport seul avec les Esprits.


Nota. Cette dernière phrase trouve son explication dans l’article ci-après sur les rêves.


J’ai apporté à M. Bach le papier de musique, que j’ai pris dans une pièce voisine de sa chambre à coucher, et alors la musique a été écrite par l’Esprit même de M. Bach, qui s’est servi de son corps comme moyen de transmission. J’ai écrit les paroles, que je connaissais ; et l’œuvre ainsi faite peut se considérer comme complètement spirituelle, attendu que M. Bach, dans son rêve, était presque complètement dématérialisé.


3. D. Toute personne douée de la médiumnité eût-elle pu servir en cette circonstance ?

R. Certainement non ; car si M. Bach n’eût pas réuni toutes les qualités requises, il est probable que ni lui ni moi n’eussions été choisis pour cette propagation.


4. D. Comment M. Bach s’est-il servi de son corps pour écrire la musique ? L’aurait-il donc fait en état de somnambulisme ?

R. J’ai dit qu’il s’est servi de son corps comme moyen de transmission, parce que son Esprit est encore incarné et ne peut agir comme l’Esprit désincarné. L’Esprit incarné ne peut se servir que de ses membres et non de son périsprit, puisque c’est ce même périsprit qui tient l’Esprit attaché au corps.


5. D. Voulez-vous nous dire qui a composé les paroles ?

R. Si c’eût été moi, j’ai une assez forte dose d’orgueil pour en garder l’honneur ; mais non, je me suis expliqué clairement en disant : « Les paroles que je connaissais. » Ces paroles, ainsi que la musique, sont bien réellement, comme il vous l’a été dit, de la composition et de l’inspiration propres de mon maître alors, qui était le roi Henri.


6. D. Y a-t-il de l’indiscrétion à vous demander de nous éclairer sur votre personnalité, et de nous dire ce que vous étiez sous Henri III ?

R. Il n’y a jamais indiscrétion dès l’instant que l’enseignement général est en jeu. Je vous répondrai donc qu’étant parti de mon pays, qui était Florence, je vins en France et je fus introduit à la cour par une princesse qui, m’ayant entendu chanter, voulut faire plaisir à l’enfant, car il l’était encore, en lui faisant entendre le pauvre troubadour. Le plaisir fut si vif que l’on résolut de me mettre à sa disposition, et je restai pendant longtemps près de lui à titre de musicien, mais en réalité comme ami ; car il m’aima beaucoup et je le lui rendis bien. Etant mort avant lui, j’acquis alors la certitude de son attachement pour moi, par le chagrin qu’il eut de ma perte. Mon nom a été prononcé ici : j’étais Baltazarini.


5. — Madame Delanne qui assistait à cette séance, recevait, par l’audition, des réponses identiques à celles qui étaient données à M. Morin. Le lendemain, chez elle, elle écrivit la communication suivante, qui confirme et complète celle de Baltazarini.


« Lorsque l’heure est venue, Dieu se sert de tous les moyens pour faire pénétrer la science divine dans tous les rangs de la société. Quelle que soit l’opinion que l’on professe à l’égard des idées nouvelles, chacun doit servir la cause, même à son insu, dans le milieu où il est placé. L’Esprit de M. Bach ayant vécu sous Henri III, et ayant été attaché à la personne du roi, comme ami intime, aimait passionnément à entendre ces vers et surtout la musique. Il préférait l’épinette aux autres instruments ; c’est pourquoi l’Esprit qui lui est apparu, et qui est bien celui de Baltazarini, s’est servi de cet instrument, afin de reporter l’Esprit de Bach à l’époque où il vivait, et lui montrer, ainsi qu’à la science, que la doctrine de la réincarnation est confirmée chaque jour par de nouvelles preuves. Le fait de la musique seule eût été insuffisant pour forcer M. Bach à chercher la lumière immédiatement. Il lui fallait un phénomène dont il ne pût se rendre compte par lui-même, une participation tout à fait inconsciente. Il devait préconiser la doctrine en racontant le fait présent, en cherchant à s’éclairer sur la manière dont il s’était produit, en demandant à toutes les intelligences de chercher avec lui et de bonne foi la vérité. Par son âge respectable, sa position honorable, sa réputation dans le monde et dans la presse littéraire, il est un des premiers jalons plantés dans le monde rebelle, car on ne peut suspecter sa bonne foi, ni le traiter de fou, pas plus qu’on ne peut nier l’authenticité de la manifestation.

« Du reste, soyez convaincus que tout cela avait sa raison d’être. Vous voyez que la presse s’est abstenue de commentaires, et cependant l’article a été produit par un non-croyant, un railleur de la science qui, seule, peut donner une explication rationnelle du fait mentionné. Dieu a ses vues ; il jette la semence divine dans le cœur lorsqu’il le juge à propos. Ce fait aura plus de retentissement que vous ne le supposez ; travaillez toujours en silence, et attendez avec confiance.

« Nous vous l’avons dit souvent, ne vous inquiétez point ; Dieu saura susciter en temps et lieu des hommes et des faits qui viendront lever les obstacles et vous donner la confirmation que les bases de la doctrine ont reçu leur sanction par l’Esprit de Vérité. Le Spiritisme croît et grandit ; les rameaux de l’arbre béni et gigantesque s’étendent déjà dans toutes les parties du globe. Chaque jour le Spiritisme gagne de nombreux adeptes dans toutes les classes, et de nouvelles phalanges viennent grossir les rangs des désincarnés. Plus vos travaux deviendront difficiles, plus l’assistance des bons Esprits sera grande.

« Saint Benoît. »


NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES.

[Juillet 1865.]

6. — AIR ET PAROLES composés par le roy Henry III en 1574, et révélés dans un songe en 1865, à M. N. C. Bach ; chez Legouix, éditeur, 27, boulevard Poissonnière, à Paris. Prix marqué : 3 fr.


[Revue de septembre 1865.]

UNE EXPLICATION A PROPOS DE LA RÉVÉLATION DE M. BACH .


7. — Sous le titre de Lettre d’un inconnu, signée Bertelius, le Grand Journal du 18 juin 1865 contient l’explication suivante du fait rapporté dans la Revue spirite du mois de juillet dernier, relatif à l’air du roi Henri III, révélé en songe à M. Bach. L’auteur s’appuie exclusivement sur le somnambulisme, et paraît faire abstraction complète de l’intervention des Esprits. Quoique, sous ce rapport, nous différions de manière de voir, son explication n’en est pas moins savamment raisonnée, et si elle n’est pas, selon nous, exacte de tous points, elle contient des aperçus incontestablement vrais et dignes d’attention.

A l’encontre de certains magnétiseurs dits fluidistes, qui ne voient dans tous les effets magnétiques que l’action d’un fluide matériel, sans tenir aucun compte de l’âme, M. Bertelius fait jouer à celle-ci le rôle capital. Il la présente dans son état d’émancipation et de dégagement de la matière, jouissant de facultés qu’elle ne possède pas à l’état de veille.

C’est donc une explication à un point de vue complètement spiritualiste, si ce n’est tout à fait spirite, et c’est déjà quelque chose que l’affirmation de la possibilité du fait par d’autres voies que celle de la matérialité pure, et cela dans un journal important.

Il est à remarquer qu’en ce moment il se produit, parmi les négateurs du Spiritisme, une sorte de réaction ; ou plutôt il se forme une opinion tierce que l’on peut considérer comme une transition. Beaucoup reconnaissent aujourd’hui l’impossibilité d’expliquer certains phénomènes par les seules lois de la matière, mais ne peuvent encore se résoudre à admettre l’intervention des Esprits ; ils en cherchent la cause dans l’action exclusive de l’âme incarnée, agissant indépendamment des organes matériels. C’est incontestablement un pas que l’on doit considérer comme une première victoire sur le matérialisme. De l’action indépendante et isolée de l’âme, pendant la vie, à cette même action après la mort, la distance n’est pas grande ; ils y seront conduits par l’évidence des faits et l’impuissance de tout expliquer à l’aide du seul Esprit incarné.


8. — Voici l’article publié par le Grand Journal.

« En racontant, dans l’avant-dernier numéro du Grand Journal, le fait singulier arrivé à M. G. Bach, vous posez ces questions : «  L’épinette a-t-elle appartenu à Baltazarini ? – Est-ce l’Esprit de Baltazarini qui a écrit la romance et la sarabande ? – Mystère que nous n’osons pas approfondir. »

« Pourquoi, s’il vous plaît, un homme, que je me plais à croire affranchi de préjugés, recule-t-il devant la recherche de la vérité ? Mystère ! dites-vous. – Non, monsieur ; il n’y a pas de mystère. Il y a une simple faculté dont Dieu a doté certains hommes, comme il en a doté d’autres d’une belle voix, du génie poétique, de l’esprit de calcul, d’une perspicacité rare, facultés que l’éducation peut réveiller, développer, améliorer. En revanche, il existe une infinité d’autres facultés accordées à l’homme, et que la civilisation, le progrès, l’éducation anéantissent, au lieu d’en favoriser le développement.

« N’est-il pas vrai, par exemple, que les peuples sauvages ont une délicatesse d’ouïe que nous ne possédons pas ? – qu’en appliquant l’oreille à terre, ils distinguent le pas d’un homme ou de plusieurs hommes, d’un cheval, ou de plusieurs chevaux, ou d’une bête fauve à une grande distance  ?

« N’est-il pas vrai aussi qu’ils mesurent le temps avec précision, sans horloge, sans montre ? qu’ils dirigent sûrement leur marche à travers les forêts vierges, ou leurs nacelles à travers les fleuves et la mer, en regardant les étoiles, sans le secours de la boussole et sans aucune notion astronomique ? – N’est-il pas vrai enfin, qu’ils guérissent leurs maladies sans médecins ; les piqûres des animaux les plus venimeux avec des herbes, des simples, qu’ils distinguent au milieu de tant d’autres herbes, et trouvent sous leurs pas ? Ne sait-on pas qu’ils guérissent les plaies les plus dangereuses avec de la terre glaise ? Et ne prouvent-ils pas, comme me le disait si judicieusement, sur les confins des États-Unis, un chef de Peaux-Rouges, que le Grand Être a toujours mis le remède à côté du mal ?

« Ces vérités sont devenues banales à force d’être répétées ; mais les uns s’en servent pour déguiser leur ignorance, les autres (c’est la majorité) pour y puiser des sujets de paradoxes. Il est si facile de prendre des allures d’esprit fort en niant tout ! il est si difficile d’expliquer l’œuvre de Dieu, dont nous cherchons le secret dans les livres, quand nous en trouverions la solution dans la nature ! Voilà le grand livre qui est ouvert à toutes les intelligences ; mais toutes ne sont pas faites pour déchiffrer ces mystères, parce que les uns y lisent à travers leurs préventions ou leurs préjugés, les autres à travers leur insuffisance ou leur orgueil de savant.

« Servez-vous des moyens les plus simples pour approfondir les mystères de la nature, et vous trouverez la solution, jusqu’aux bornes imposées à l’intelligence humaine, par une intelligence supérieure.

« M. Bach n’est pas somnambule, avez-vous dit. Qu’en savez-vous, et qu’en sait-il lui-même ? – M. Bach, je l’affirme, sans avoir jamais eu l’honneur de le rencontrer et sans le connaître, M. Bach est somnambule. Le somnambulisme est resté chez lui à l’état latent ; il a fallu un événement exceptionnel, une sensation très vive et très persistante, une émotion que comprendront tous ceux qui ont l’amour de la curiosité et de la collection, pour lui révéler à lui-même une faculté dont il doit avoir eu plus d’un exemple, restés inaperçus dans sa vie, mais dont il se souviendra sans doute aujourd’hui, s’il veut interroger son passé et réfléchir.

« M. Bach, d’après ce que vous nous avez appris, employa une partie de la journée dans la contemplation de sa précieuse épinette ; il découvrit l’état civil de l’instrument (avril 1564). « il y pensait en se couchant ; lorsque le sommeil vint fermer sa paupière, il y pensait encore. »

« Le somnambule procède par degrés. – Quand vous voulez qu’il voie ce qui se passe à Londres,  †  par exemple, il faut lui indiquer que vous le mettez en voiture, qu’il entre en chemin de fer, qu’il roule, qu’il s’embarque, traverse la mer (alors là, il éprouve souvent des nausées), qu’il débarque, reprend le chemin de fer, et finalement arrive au terme de son voyage.

« M. Bach a suivi la marche habituelle aux somnambules. Il avait tourné, retourné, démonté, fouillé son épinette ; il était rempli de cette idée, et, mentalement, sans même y songer, il a dû se dire : « A qui cet instrument a-t-il pu appartenir ? » Le courant magnétique (les esprits forts ne nieront pas ce courant) s’est établi entre lui et l’instrument. Il s’est endormi, il est tombé dans le sommeil naturel, et a passé ensuite naturellement à l’état de somnambulisme. Alors il a cherché, il a fouillé dans le passé, il s’est mis en communication plus intime avec l’épinette ; il a dû la tourner, la retourner, poser la main où la main de l’ancien propriétaire de l’instrument s’est posée il y a trois siècles ; et interrogeant le passé (ce qui est infiniment plus facile que de voir l’avenir), il s’est trouvé en contact avec cet être qui n’est plus [Ce phénomène est appelé psychométrie].  †  Il l’a vu vêtu de ses habits, et il a exécuté l’air que l’instrument a si souvent rendu ; il a entendu les paroles si souvent accompagnées ; et entraîné par cette puissance magnétique qu’on appelle électricité, il a écrit, lui, M. Bach, de sa main, cet air, aussi bien qu’on transmet aujourd’hui à Lyon  †  une dépêche écrite de votre main avec votre écriture. Il a écrit, lui, M. Bach, dans son état de somnambulisme, je le répète, cet air et ces paroles qu’il n’a jamais entendus ; et, surexcité par une émotion trop vive, il s’est réveillé tout en larmes.

« Vous allez crier à l’impossibilité. – Eh bien ! écoutez ce fait : – J’ai envoyé moi-même une somnambule en Angleterre ; elle a accompli le voyage, non pas dans le sommeil de somnambule, mais dans une condition qui n’était ni l’état tout à fait naturel, ni l’état complet de somnambulisme. – Seulement, je lui ai ordonné de dormir toutes les nuits pendant le temps nécessaire, du sommeil surnaturel, et de s’écrire ce qu’elle aurait à faire pour arriver au résultat qu’elle devait atteindre dans son voyage. – Elle ne savait pas un mot d’anglais. Elle ne connaissait personne. L’affaire qui la préoccupait était grave… Elle a accompli son voyage, elle s’est écrit toutes les nuits des consultations sur ce qu’elle devait faire, sur les personnes qu’elle devait voir, l’endroit où elle devait les trouver. Elle a suivi textuellement et au pied de la lettre les indications qu’elle s’était données, elle est allée chez des personnes qu’elle ne connaissait pas et dont elle n’avait jamais entendu parler, et qui se trouvaient être justement celles qui pouvaient tout… Si bien qu’au bout de huit jours, une affaire qui aurait exigé des années, sans espoir d’en voir la fin, a été terminée à sa complète satisfaction, et ma somnambule est retournée après avoir accompli des merveilles. – Dans l’état naturel, cette femme extraordinaire est tout simplement une femme fort ordinaire.

« Remarquez ce fait : son écriture dans le sommeil est toute différente de son écriture habituelle. Des mots ont été mis en anglais, et elle ne connaît pas l’anglais. Elle converse avec moi en italien, et quand elle est réveillée, elle ne saurait dire deux mots de suite dans cette langue.

« M. Bach a donc écrit lui-même et annoté de sa main l’air de Henri III quoique peut-être il ne reconnaisse pas son écriture. Et ce qui est plus fort, c’est qu’il doit douter de ses facultés magnétiques, comme ma somnambule, qui est, à cet égard, d’une incrédulité si radicale qu’on ne peut causer de magnétisme devant elle sans qu’elle ne se hâte de déclarer qu’il faut être absurde pour y croire.

« Et peut-être encore, quoique vous ne le disiez pas, M. Bach n’avait ni papier ni encre. Ma somnambule, à Londres, trouva sur sa table, les indications voulues écrites au crayon ; elle n’avait pas de crayon !… Elle est allée, j’en suis certain, fouiller dans l’hôtel, a trouvé le crayon dont elle avait besoin, et l’a reporté à sa place, avec cette exactitude, ces précautions, cette légèreté vaporeuse, presque surnaturelle, habituelle aux somnambules.

« Je pourrais vous citer des faits plus surprenants que celui de M. Bach. Mais en voilà assez pour aujourd’hui. J’hésite même à vous envoyer ces notes écrites au hasard de la plume.

« Depuis vingt ans que je magnétise, j’ai caché, même à mes meilleurs amis, le résultat de mes découvertes. Il est si facile de taxer un homme de folie ; il y a tant de gens intéressés à mettre la lumière sous le boisseau, et, surtout il faut le dire, il y a tant de charlatans qui ont abusé du magnétisme, qu’il faudrait un courage surhumain, pour déclarer qu’on s’en occupe. On serait mieux venu de proclamer qu’on a assassiné père et mère, que de confesser qu’on y croit.

« Règle générale, cependant : ne croyez jamais, au grand jamais, aux expériences publiques, aux somnambules de commande qu’on consulte moyennant finances, qui rendent des oracles comme les sibylles antiques, qui agissent, parlent au moindre commandement et à heure dite, devant un public nombreux, comme un automate habilement fabriqué. C’est du charlatanisme ! Rien n’est plus capricieux, volontaire, mobile, boudeur, rancuneux qu’un somnambule. Un rien paralyse ses facultés de seconde vue ; un rien le fait mentir pour faire une malice ; un rien le dérange et le fait dévier, et cela se conçoit. Y a-t-il rien de plus susceptible que le courant électrique ?

« Je me suis séparé d’un savant docteur (le docteur E…, bien connu à Londres), sous lequel j’ai commencé mes premières expériences magnétiques, justement parce que j’ai toujours considéré comme une faute grave l’abus du magnétisme. Entraîné par les résultats miraculeux que nous obtenions, il voulut un jour greffer le système phrénologique sur le magnétisme ; il prétendait qu’en touchant certaines bosses de la tête, le somnambule éprouvait la sensation dont cette bosse était le siège. On touchait la bosse présumée du chant, le sujet chantait ; celle de la gourmandise, il mâchait à vide, disant que tel mets avait bon ou mauvais goût ; ainsi de suite.

« J’estimai que c’était pousser l’expérience jusqu’à l’abus, et asseoir sur un fait réel, le somnambulisme, une science problématique, la phrénologie.  †  Je voulais étendre le domaine des découvertes magnétiques, mais non en abuser, comme on le fait généralement.

« J’eus l’irrévérence de déclarer à mon professeur qu’il s’égarait, et je maintiens qu’il est du devoir de tous ceux qui connaissent les phénomènes magnétiques de s’élever contre toutes ces expériences, dont le seul but est de satisfaire une curiosité ignorante, d’exploiter quelques faiblesses humaines et non d’atteindre un résultat pratique pour l’humanité et utile à tous.

« Mais il est plus difficile qu’on ne croit de se maintenir dans ces bornes honorables, quand on est parvenu à des résultats merveilleux. Les plus forts magnétiseurs se laissent entraîner, et, phénomène plus merveilleux encore, lorsqu’on arrive à ce point d’exiger toujours des expériences publiques de son sujet, il semble alors se détraquer, il n’a plus cet imprévu, cette lucidité, cette clairvoyance qui le distinguaient ; il devient une machine automatique, qui répond sur un thème donné, et dont les facultés s’appauvrissent jusqu’au point de disparaître.

« Malheureusement des gens qui n’oseraient tenter une simple expérience de physique amusante, qui s’avoueraient inhabiles à exécuter le moindre tour de prestidigitation, n’hésitent jamais, sans préparations, sans la moindre étude préparatoire, à faire des expériences magnétiques.

« Ah ! si je ne craignais d’endormir les lecteurs de votre Grand Journal d’un sommeil moins intéressant, mais plus bruyant que celui de mes somnambules, je vous entretiendrais prochainement de faits éminemment curieux… Mais auparavant, il faut savoir quel accueil vous ferez à cette première lettre, et c’est ce que j’apprendrai samedi en faisant sauter la bande de mon numéro.

« BERTELLIUS.  »


[Revue de février 1866.]

L’ÉPINETTE D’HENRY III.


9. — Le fait ci-après est une suite de l’intéressante histoire de l’Air et paroles du roy Henry III, rapportée dans la Revue de juillet 1865, page 193 [ci-dessus]. Depuis lors, M. Bach est devenu médium écrivain, mais il pratique peu, à cause de la fatigue qui en résulte pour lui. Il ne le fait que lorsqu’il y est incité par une force invisible, qui se traduit par une vive agitation et un tremblement de la main, car alors la résistance est plus pénible que l’exercice. Il est mécanique, dans le sens le plus absolu du mot, n’ayant ni conscience ni souvenir de ce qu’il écrit. Un jour qu’il se trouvait dans cette disposition, il écrivit le quatrain suivant :

Le roy Henry donne cette grande espinette

A Baldazzarini, très-bon musicien.

Si elle n’est bonne ou pas assez coquette

Pour souvenir, du moins, qu’il la conserve bien.

L’explication de ces vers, qui, pour M. Bach, n’avaient pas de sens, lui fut donnée en prose.

« Le roy Henry mon maître, qui m’a donné l’espinette que tu possèdes, avait écrit un quatrain sur un morceau de parchemin qu’il avait fait clouer sur l’étui, et me l’envoya un matin. Quelques années plus tard, ayant un voyage à faire, et craignant, puisque j’emportais mon espinette avec moi pour faire de la musique, que le parchemin ne fût arraché et perdu, je l’ai enlevé, et, pour ne pas le perdre, je l’ai mis dans une petite niche, à gauche du clavier, où il est encore. »


10. — L’épinette est l’origine des pianos actuels dans leur plus grande simplicité, et se jouait de la même manière ; c’était un petit clavecin à quatre octaves, d’environ un mètre et demi de long sur quarante centimètres de large, et sans pieds. Les cordes, à l’intérieur, étaient disposées comme dans les pianos, et frappées à l’aide de touches. On le transportait à volonté en l’enfermant dans un étui, comme on fait pour les basses et les violoncelles. Pour s’en servir, on le posait sur une table ou sur un X mobile.

L’instrument était alors à l’exposition du musée rétrospectif, aux Champs-Élysées,  †  où il n’était pas possible de faire la recherche indiquée. Lorsqu’il lui fut rapporté, M. Bach, de concert avec son fils, s’empressa d’en fureter tous les recoins, mais inutilement, de sorte qu’il crut d’abord à une mystification. Néanmoins, pour n’avoir rien à se reprocher, il le démonta complètement, et découvrit, à gauche du clavier, entre deux planchettes, un intervalle si étroit, qu’on n’y pouvait introduire la main. Il fouilla ce réduit, plein de poussière et de toiles d’araignées, et en retira un morceau de parchemin plié, noirci par le temps, long de trente et un centimètres sur sept et demi de large, sur lequel était écrit le quatrain suivant, en assez gros caractères de l’époque :

Moy le Roy Henry trois octroys cette espinette

A Baltasarini, mon gay musicien,

Mais sis dit mal sonne, ou bien ma moult simplette

Lors pour mon souvenir dans lestuy garde bien.

Henry.


Ce parchemin est percé aux quatre coins de trous qui sont évidemment ceux des clous ayant servi à le fixer sur la boîte. Il porte en outre, sur les bords, une multitude de trous alignés et régulièrement espacés, qui paraissent avoir été faits par de très petits clous. Il a été exposé dans la salle des séances de la Société, et nous avons eu tout le loisir de l’examiner, ainsi que l’épinette, sur laquelle M. Bach nous a fait entendre l’air et les paroles dont nous avons rendu compte, et qui lui ont été, comme on le sait, révélés en songe.

Les premiers vers dictés reproduisaient, comme on le voit, la même pensée que ceux du parchemin, dont ils sont la traduction en langage moderne, et cela avant que ceux-ci ne fussent découverts.


11. — Le troisième vers est obscur, et contient surtout le mot ma qui semble n’avoir aucun sens, et ne point se lier à l’idée principale, et qui, dans l’original, est entouré d’un filet en carré ; nous en avions inutilement cherché l’explication, et M. Bach lui-même n’en savait pas davantage. Étant un jour chez ce dernier, il eut spontanément, en notre présence, une communication de Baldazzarini, donnée à notre intention et ainsi conçue :


« Amico mio,

« Je suis content de toi ; tu as écrit ces vers dans mon espinette ; mon vœu est accompli, je suis tranquille à présent. (Allusion à d’autres vers dictés à M. Bach et que Baldazzarini lui avait dit d’écrire dans l’instrument.) Je veux dire un mot au savant président qui vient te visiter.

O toi, Allan Kardec, dont les travaux utiles

Instruisent chaque jour des spirites nouveaux,

Tu ne nous fais jamais des questions futiles ;

Aussi les bons Esprits éclairent tes travaux.

Mais il te faut lutter contre les ignorants

Qui, sur notre terre, se croyent des savants.

Ne te rebute pas ; la tâche est difficile ;

Pour tout propagateur fût-ce jamais facile ?

« Le roy plaisantait mon accent dans ses vers ; je disais toujours ma au lieu de mais. Adio, amico.

« Baldazzarini. »


Ainsi a été donnée, sans question préalable, l’explication de ce mot ma. C’est le mot italien signifiant mais, intercalé par plaisanterie, par lequel le roi désignait Baldazzarini, qui, comme beaucoup de ceux de sa nation, le prononçait souvent. Ainsi le roi, en donnant cette épinette à son musicien, lui dit : Si elle n’est pas bonne, si elle sonne mal, ou si ma (Baldazzarini) la trouve trop simple, de trop peu de valeur, qu’il la garde dans son étui, en souvenir de moi. Le mot ma est entouré d’un filet, comme un mot entre parenthèses. Nous aurions, certes, longtemps cherché cette explication, qui ne pouvait être le reflet de la pensée de M. Bach. puisque lui-même n’y comprenait rien. Mais l’Esprit a vu que nous en avions besoin pour compléter notre compte rendu, et il a profité de l’occasion pour nous la donner sans que nous ayons eu la pensée de la lui demander, car, lorsque M. Bach se mit à écrire, nous ignorions, ainsi que lui, quel était l’Esprit qui se communiquait.


12. — Une importante question restait à résoudre, c’était de savoir si l’écriture du parchemin était bien réellement de la main d’Henri III. M. Bach se rendit à la Bibliothèque impériale pour la comparer avec celle des manuscrits originaux. On en trouva d’abord avec lesquels il n’y avait pas une similitude parfaite, mais seulement un même caractère d’écriture. Avec d’autres pièces, l’identité était absolue, tant pour le corps de l’écriture que pour la signature ; cette différence provenait de ce que l’écriture du roi était variable, circonstance qui sera expliquée tout à l’heure.

Il ne pouvait donc rester de doute sur l’authenticité de cette pièce, quoique certaines personnes, qui professent une incrédulité radicale à l’endroit des choses dites surnaturelles, aient prétendu que ce n’était qu’une imitation très exacte. Or nous ferons observer qu’il ne s’agit point ici d’une écriture médianimique donnée par l’Esprit du roi, mais d’un manuscrit original écrit par le roi lui-même, de son vivant ; et qui n’a rien de plus merveilleux que ceux que des circonstances fortuites font chaque jour découvrir. Le merveilleux, si merveilleux il y a, n’est que dans la manière dont son existence a été révélée. Il est bien certain que si M. Bach se fût contenté de dire qu’il l’avait trouvé par hasard dans son instrument, on n’eût élevé aucune objection.


13. — Ces faits avaient été rapportés dans la séance de la Société du 19 janvier 1866, à laquelle assistait M. Bach. M. Morin, membre de la Société, médium somnambule très lucide, et qui, dans son sommeil magnétique, voit parfaitement les Esprits et s’entretient avec eux, assistait à cette séance en état de somnambulisme. Pendant la première partie de la séance, consacrée à des lectures diverses, à la correspondance et au récit des faits, M. Morin, dont on ne s’occupait pas, paraissait en conversation mentale avec des êtres invisibles ; il leur souriait, échangeait avec eux des poignées de main. Lorsque vint son tour de parler, on lui demanda de désigner les Esprits qu’il voyait et de les prier de nous transmettre, par son intermédiaire, ce qu’ils voudraient nous dire pour notre instruction. Il ne lui fut pas adressé une seule question directe. Nous ne mentionnons sommairement que quelques-uns des faits qui se sont passés, pour donner une idée de la physionomie de la séance, et pour en venir au sujet principal qui nous occupe ici.

Vous les nommer tous, dit-il, serait chose impossible, car le nombre en est trop grand ; il y en a d’ailleurs beaucoup que vous ne connaissez pas, et qui viennent pour s’instruire. La plupart voudraient parler, mais ils cèdent la place à ceux qui ont, pour le moment, des choses plus importantes à dire.

Il y a d’abord ici, à côté de nous, notre ancien collègue, le dernier parti pour le monde des Esprits, M. Didier, qui ne manque pas une de nos séances, et que je vois exactement comme de son vivant, avec la même physionomie ; on dirait qu’il est là avec son corps matériel ; seulement il ne tousse plus. Il me fait part de ses impressions, de son opinion sur les choses actuelles, et me charge de vous transmettre ses paroles.

Vint ensuite un jeune homme tout récemment suicidé dans des circonstances exceptionnelles et dont il décrivit la situation, qui présente une phase en quelque sorte nouvelle de l’état de certains suicidés, après la mort, en raison des causes déterminantes du suicide et de la nature de leurs pensées.

Puis vint M. B…, fervent Spirite, mort depuis quelques jours à la suite d’une opération chirurgicale, et qui avait puisé dans sa croyance et dans la prière la force de supporter courageusement et avec résignation ses longues souffrances. « Quelle reconnaissance, dit-il, ne dois-je pas au Spiritisme ! sans lui, j’aurais certainement mis fin à mes tortures, et je serais comme ce malheureux jeune homme que vous venez de voir. La pensée du suicide m’est venue plus d’une fois ; mais chaque fois je l’ai repoussée ; sans cela, que mon sort serait triste ! Aujourd’hui je suis heureux, oh ! bien heureux, et je remercie nos frères qui m’ont assisté de leurs prières pleines de charité. Ah ! si l’on savait quelles douces et salutaires effluves la prière du cœur verse sur les souffrances !


14. —  Mais où donc me conduit-on ? continue le somnambule ; dans un misérable logement ! Il y a là un homme jeune encore qui se meurt de la poitrine…, le dénuement est complet : rien pour se chauffer, rien pour sa nourrir ! Sa femme, épuisée par la fatigue et les privations, ne peut plus travailler… Ah ! dernière et triste ressource !… elle n’a plus de cheveux… elle les a coupés et vendus pour avoir quelques sous !… Combien de jours cela les fera-t-il vivre ?… C’est affreux ! »

Sur la demande qui lui est faite s’il peut indiquer le domicile de ces pauvres gens, il dit : « Attendez ! » Puis il semble écouter ce qu’on lui dit ; il prend un crayon et écrit un nom avec indication de la rue et du numéro. Vérification en ayant été faite dès le lendemain matin, tout fut trouvé parfaitement exact.


15. — Remis de son émotion, et son Esprit revenu au lieu de la séance, il parla encore de plusieurs autres personnes et de diverses choses qui furent pour nos guides spirituels le sujet d’instructions d’une haute portée, et que nous aurons occasion de rapporter une autre fois.

Tout à coup il s’écrie : « Mais il y a ici des Esprits de toutes sortes ! Il y en a qui ont été princes, rois ! En voici un qui s’avance ; il a la figure longue et blême, une barbiche pointue, une espèce de bonnet surmonté d’une flammèche. Il me dit de vous dire :

« Le parchemin dont vous avez parlé et que vous avez sous les yeux a bien été écrit de ma propre main, mais je vous dois à ce sujet une explication.

« De mon temps on n’écrivait pas avec autant de facilité qu’aujourd’hui, surtout les hommes dans ma position. Les matériaux étaient moins commodes et moins perfectionnés ; l’écriture était plus lente, plus grosse, plus lourde ; aussi reflétait-elle mieux les impressions de l’âme. Je n’étais pas, vous le savez, d’une humeur égale, et, selon que j’étais en bonne ou mauvaise disposition, mon écriture changeait de caractère. C’est ce qui explique la différence que l’on remarque dans les manuscrits qui restent de moi. Quand j’ai écrit ce parchemin pour mon musicien en lui envoyant l’épinette, j’étais dans un de mes moments de satisfaction. Si vous recherchez dans mes manuscrits ceux dont l’écriture ressemble à celle-ci, vous reconnaîtrez, par le sujet qu’ils traitent, que je devais être dans un de ces bons moments, et vous aurez là une autre preuve d’identité. »


16. — A l’occasion de la découverte de cet écrit, dont le Grand Journal a parlé dans son numéro du 14 janvier, le même journal contient, dans celui du 21 janvier, l’article suivant :

« Coulons à fond la question de correspondance, en mentionnant la lettre de madame la comtesse de Martino, relative à l’épinette de M. Bach. Madame la comtesse de Martino est persuadée que le correspondant surnaturel de M. Bach est un imposteur, attendu qu’il devrait signer Baldazzarini et non Baltazarini, ce qui est de l’italien de cuisine. »

Nous ferons remarquer d’abord que cette chicane à propos du l’orthographe d’un nom propre est passablement puérile, et que l’épithète d’imposteur, à défaut du correspondant invisible, auquel madame la comtesse ne croit pas, retombe sur un homme honorable, ce qui n’est pas de fort bon goût. En second lieu, Baldazzarini, simple musicien, espèce de troubadour, pouvait bien ne pas posséder la langue italienne dans sa pureté, à une époque où l’on ne se piquait pas d’instruction. Contesterait-on l’identité d’un Français qui écrirait en français de cuisine, et n’en voit-on pas qui ne savent pas écrire correctement leur propre nom ? Baldazzarini, par son origine, ne devait pas être beaucoup au-dessus de la cuisine. Mais cette critique tombe devant un fait, c’est que les Français, peu familiarisés avec les nuances de l’orthographe italienne, en entendant prononcer ce nom, l’écrivent naturellement à la française. Le roi Henri III lui-même, dans le quatrain retrouvé et cité plus haut, l’écrit simplement Baltasarini, et cependant il n’était pas un cuisinier. Ainsi en a-t-il été de ceux qui ont adressé au Grand Journal le récit du fait en question. Quant au musicien, dans les diverses communications qu’il a dictées à M. Bach et dont nous avons plusieurs originaux entre les mains, il a signé Baldazzarini et quelquefois Baldazzarrini, ainsi qu’on peut s’en convaincre ; la faute n’en est donc point à lui, mais ceux qui, par ignorance, ont francisé son nom, et à nous tout le premier.

Il est vraiment curieux de voir les puérilités auxquelles s’attachent les adversaires du Spiritisme, preuve évidente de la pénurie de bonnes raisons.



Il y a une image de ces articles dans le service Google — Recherche de livres (Revue Spirite 1865.) (Juillet 1865.) — Notices bibliographiques (Juillet 1865.)  — Une explication (Septembre 1865.)


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