M. Rul, membre de la Société de Paris, † nous transmet le fait suivant :
« Je connaissais, dit-il, en 1862, un jeune sourd-muet de douze à treize ans, et, désireux de faire une observation, je demandai à mes guides protecteurs s’il ne serait possible de l’évoquer. La réponse ayant été affirmative, je fis venir cet enfant dans ma chambre, et l’installai dans un fauteuil, en compagnie d’une assiette de raisins, qu’il se mit à égrener avec empressement. Je me mis, de mon côté, à une table ; je priai, et fis l’évocation, comme d’habitude. Au bout de quelques instants ma main trembla, et j’écrivis : Me voici.
« Je regardai l’enfant : il était immobile, les yeux fermés, calme, endormi, l’assiette sur les genoux, et avait cessé de manger. Je lui adressai les questions suivantes :
D. Où es-tu en ce moment ? — R. Dans votre chambre, dans votre fauteuil.
D. Veux-tu me dire pourquoi tu es sourd-muet de naissance ? — R. C’est une expiation de mes crimes passés.
D. Quels crimes as-tu donc commis ? — R. J’ai été parricide.
D. Peux-tu me dire si ta mère, que tu aimes si tendrement, n’aurait pas été, soit comme étant ton père ou ta mère dans l’existence dont tu parles, l’objet du crime que tu as commis ?
« J’attendis vainement la réponse ; ma main resta immobile. Je portai de nouveau les yeux sur l’enfant ; il venait de s’éveiller, et mangeait à belles dents ses raisins. Ayant alors prié mes guides de m’expliquer ce qui venait de se passer, il me fut répondu :
« Il t’a donné les renseignements que tu désirais, et Dieu n’a pas permis qu’il t’en donnât d’autres. »
« Je ne sais comment les partisans de la communication exclusive des démons nous expliqueraient ce fait. Pour moi, j’en tirai la conclusion que, puisque Dieu nous permet quelquefois d’évoquer un Esprit incarné, il nous le permet également à l’égard des désincarnés, quand nous le faisons dans un esprit de charité. »
Remarque. — Nous ferons, de notre côté, une autre observation sur ce sujet. La preuve d’identité résulte ici du sommeil provoqué par l’évocation, et de la cessation de l’écriture au moment du réveil. Quant au silence gardé sur la dernière question, il prouve l’utilité du voile jeté sur le passé. En effet, supposons que la mère actuelle de cet enfant ait été sa victime dans une autre existence, et que celui-ci ait voulu réparer ses torts par l’affection qu’il lui témoigne, est-ce que la mère ne serait pas douloureusement affectée si elle savait que son enfant a été son meurtrier, et sa tendresse pour lui n’en serait-elle pas altérée ? Il a pu lui être permis de révéler la cause de son infirmité comme sujet d’instruction, afin de nous donner une preuve de plus que les afflictions d’ici-bas ont une cause antérieure, quand cette cause n’est pas dans la vie actuelle, et qu’ainsi tout est selon la justice ; mais le surplus était inutile, et aurait pu revenir aux oreilles de la mère, c’est pourquoi les Esprits l’ont réveillé au moment où il allait sans doute répondre. Nous expliquerons plus tard la différence qui existe entre la position de cet enfant et celle de Valentine du récit précédent.
Ce fait prouve en outre un point capital, c’est que ce n’est pas seulement après la mort que l’Esprit recouvre le souvenir de son passé ; on peut dire qu’il ne le perd jamais, même dans l’incarnation, car, pendant le sommeil du corps, alors qu’il jouit d’une certaine liberté, l’Esprit a la conscience de ses actes antérieurs ; il sait pourquoi il souffre, et qu’il souffre justement ; le souvenir ne s’efface que pendant la vie extérieure de relation. Mais, à défaut d’un souvenir précis qui pourrait lui être pénible et nuire à ses rapports sociaux, il puise de nouvelles forces dans ces instants d’émancipation de l’âme, s’il a su les mettre à profit.
Faut-il conclure de ce fait que tous les sourds-muets ont été des parricides ? Ce serait une conséquence absurde ; car la justice de Dieu n’est pas circonscrite dans des limites absolues, comme la justice humaine. D’autres exemples prouvent que cette infirmité est parfois le résultat du mauvais usage que l’individu a fait de la faculté de la parole.
Hé quoi ! dira-t-on, la même expiation pour deux fautes aussi différentes dans leur gravité, est-ce là de la justice ? Mais ceux qui raisonnent ainsi ignorent-ils donc que la même faute offre des degrés infinis de culpabilité, et que Dieu mesure la responsabilité aux circonstances ? Qui sait, d’ailleurs, si cet enfant, en supposant son crime sans excuse, n’a pas subi dans le monde des Esprits un dur châtiment, et si son repentir et son désir de réparer n’ont pas réduit l’expiation terrestre à une simple infirmité ? En admettant, à titre d’hypothèse, puisque nous l’ignorons, que sa mère actuelle ait été sa victime, s’il ne tenait pas envers elle la résolution qu’il a prise de réparer sa faute par sa tendresse, il est certain qu’un châtiment plus terrible l’attendrait, soit dans le monde des Esprits, soit dans une nouvelle existence. La justice de Dieu ne fait jamais défaut, et, pour être parfois tardive, elle ne perd rien pour attendre ; mais Dieu, dans sa bonté infinie, ne condamne jamais d’une manière irrémissible, et laisse toujours ouverte la porte du repentir ; si le coupable est longtemps à en profiter, il souffre plus longtemps. Il dépend ainsi toujours de lui d’abréger ses souffrances. La durée du châtiment est proportionnée à la durée de l’endurcissement ; c’est ainsi que la justice de Dieu se concilie avec sa bonté et son amour pour ses créatures.
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