Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année VIII — Août 1865.

(Langue portugaise)

DISSERTATIONS SPIRITES.


LA CLEF DU CIEL.

(Société de Montreuil-sur-Mer,  †  5 janvier 1865.)

Quand on considère que tout vient de Dieu et retourne à Dieu, il est impossible de ne pas apercevoir, dans la généralité des créations divines, le lien qui les relie entre elles et les assujettit à un travail de commun avancement, en même temps qu’à un travail d’avancement particulier ; comme aussi on ne peut méconnaître que la loi de solidarité qui en résulte, ne nous oblige à des sacrifices gratuits de toutes sortes les uns envers les autres. Il est à remarquer d’ailleurs que Dieu nous a montré en tout une première application par lui-même des principes primordiaux qu’il a établis. Ainsi, pour la solidarité, on trouve ce principe exprimé dans la sensibilité dont nous avons été doués, sensibilité qui nous porte à compatir aux maux d’autrui, à les prendre en pitié et à les soulager.

Ce n’est pas tout ; les prophètes et le divin Messie Jésus nous ont donné l’exemple d’une seconde application du principe de solidarité, d’abord en consacrant par des cérémonies symboliques, et plus souvent par l’autorité de leurs enseignements, l’amour de l’homme pour l’homme ; puis en proclamant comme un devoir nécessaire et rigoureux la pratique de la charité, qui est l’expression de la solidarité. La charité est l’acte de notre soumission à la loi de Dieu ; c’est le signe de notre grandeur morale ; c’est la clef du ciel. Aussi, c’est de la charité que je veux vous entretenir.

Je ne l’envisagerai que sous un seul côté : le côté matériel, et la raison en est simple : c’est le côté qui plaît le moins à l’homme.

Pas plus les chrétiens que les Spirites, personne n’a désavoué le principe, ou mieux, la loi de la solidarité ; mais on a cherché à en éluder les conséquences, et pour cela on a invoqué mille prétextes. J’en citerai quelques-uns.

Les choses de l’esprit ou du cœur, a-t-on dit, ayant un prix infiniment supérieur à celui des choses matérielles, il s’ensuit que consoler l’affliction, ou par de bonnes paroles ou par de sages conseils, vaut aussi infiniment mieux que de la consoler par des secours matériels.

Assurément, messieurs, vous avez raison si l’affliction dont vous parlez a une cause morale, si elle prend sa raison dans une blessure du cœur ; mais si c’est la faim, si c’est le froid, si c’est la maladie, si, en un mot, ce sont des causes matérielles qui l’ont provoquée, vos douces paroles suffiront-elles à l’adoucir ? vos bons conseils, vos sages avis parviendront-ils à la guérir ? Vous me permettrez d’en douter. Si Dieu, en vous plaçant sur la terre, eût omis de pourvoir à la nourriture de votre corps, en eussiez-vous retrouvé l’équivalent dans les secours spirituels qu’il vous accorde ? Mais Dieu n’est pas l’homme, Dieu est la sagesse éternelle et la bonté infinie ; il vous a imposé un corps de boue, mais il a pourvu aux besoins de ce corps en fertilisant vos champs et en fécondant les trésors de la terre ; aux secours spirituels qui s’adressaient à votre âme, il a joint les secours matériels que réclamait votre corps.

Dès lors, et parce que l’égoïsme a peut-être dépouillé le pauvre de sa part d’héritage terrestre, de quel droit vous croiriez-vous quittes envers lui ?

Parce que la justice humaine l’a rayé du nombre des usufruitiers aux biens temporels, pourquoi votre charité ne trouverait-elle pas une justice plus équitable à lui rendre ?

Un illustre penseur de ce siècle ne craignait pas de s’exprimer ainsi dans sa mémorable profession de foi : « Chaque abeille a droit à la portion de miel nécessaire à sa subsistance, et si, parmi les hommes, il en est qui manquent de ce nécessaire, c’est que la justice et la charité ont disparu d’au milieu d’eux. » Tout excessif que puisse vous paraître ce langage, il n’en contient pas moins une grande vérité, vérité inaccessible peut-être à l’entendement de beaucoup d’entre vous, mais évidente pour nous, Esprits qui, plus frappés des effets parce que nous les embrassons dans leur ensemble, voyons aussi les causes qui les produisent.

Ah ! dit celui-ci, nul plus que moi ne gémit sur les peines et les privations cruelles du véritable pauvre, du pauvre dont le travail, insuffisant à l’entretien de sa famille, ne lui ramène, en échange de ses fatigues, ni la joie de nourrir les siens, ni l’espérance de les laisser heureux ; mais je me ferais un cas de conscience d’encourager, par d’aveugles libéralités, la paresse ou l’inconduite en haillons. Du reste, je tiens la charité comme indispensable au salut de l’homme ; seulement l’impossibilité de découvrir les besoins réels parmi tant de besoins simulés justifie, ce me semble, mon abstention.

L’impossibilité de découvrir les besoins réels, telle est, mon ami, votre justification. Voyez pourtant, cette justification ne sera jamais sanctionnée par votre conscience, et je n’en veux d’autre preuve que l’aveu que vous me faites ; car, du droit qu’aurait le véritable pauvre à votre aumône, – et vous lui reconnaissez ce droit, – de ce droit, dis-je, découle pour vous le devoir de le chercher. Le cherchez-vous ?

L’impossibilité vous arrête. Comment donc ! la charité n’a pas de limites, elle est infinie comme Dieu dont elle émane, et n’admet aucune impossibilité ! Oui, quelque chose vous arrête : c’est l’égoïsme, et Dieu, qui sonde les cœurs et les reins, Dieu le découvrira facilement sous les fallacieux prétextes dont vous le voilez. Vous pouvez tromper le monde, vous parviendrez aussi à tromper momentanément votre conscience, mais vous ne tromperez jamais Dieu. Dans cent ans, dans mille ans, vous apparaîtrez de nouveau sur la terre ; vous y vivrez, sans doute, dépouillés de votre opulence présente et courbés sous le poids de l’indigence ; eh bien ! je vous le déclare, vous recevrez du riche le dédain et l’indifférence que, riches vous-mêmes, vous aurez montrés jadis pour le pauvre. Noblesse oblige, dit-on ; solidarité oblige davantage encore. Qui se soustrait à cette loi en perd tous les bénéfices.

C’est pourquoi vous, qui aurez gardé le fond égoïste de votre nature, subirez, à votre tour, les mépris de l’égoïsme.


Ecoutez ces accents de Rousseau :

« Pour moi, dit-il, je sais que tous les pauvres sont mes frères et que je ne puis, sans une inexcusable dureté, leur refuser le faible secours qu’ils me demandent. La plupart sont des vagabonds, j’en conviens ; mais je connais trop les peines de la vie pour ignorer par combien de malheurs l’honnête homme peut se trouver réduit à leur sort. Et comment pourrais-je être sûr que l’inconnu qui vient implorer, au nom de Dieu, mon assistance, n’est pas peut-être cet honnête homme prêt à périr de misère et que mon refus va réduire au désespoir ? Quand l’aumône qu’on leur donne ne serait pas pour eux un secours réel, c’est au moins un témoignage qu’on prend part à leurs peines, un adoucissement à la dureté du refus, une sorte de salutation qu’on leur rend. »


C’est un enfant de Genève, messieurs, qui parle de la sorte ; c’est un philosophe abreuvé aux sources sèches du dix-huitième siècle qui craint de méconnaître l’honnête homme d’entre les inconnus qui lui tendent la main et qui donne à tous. Il donne à tous parce que tous sont ses frères : il le sait ! En savez-vous moins que lui, messieurs ? Je n’ose le croire.

Mais dans quelle mesure devez-vous donner, ou plutôt, quelle est dans vos biens la part qui vous appartient et la part qui appartient aux pauvres ? Votre part, messieurs, c’est le nécessaire, rien que le nécessaire, et encore ne faut-il pas que vous l’exagériez. En vain vous vous prévaudrez de votre position, des charges qui y sont afférentes, des obligations de luxe qu’elle exige ; tout cela regarde le monde, et si vous voulez vivre pour le monde, vous n’avancerez qu’avec le monde, vous n’irez pas plus vite que le monde. En vain encore, vous allèguerez, pour justifier vos habitudes de mollesse, un travail auquel ne se livre pas le pauvre, et qui, pratiqué chez vous et par vous, vous rend bénéficiaires d’une plus grande aisance ; en vain vous allèguerez cela, parce que tout homme est tenu au travail, ou pour lui, ou pour les autres, parce que l’incurie de son voisin ne l’absoudrait pas du délaissement où il l’aurait abandonné.

De votre patrimoine, comme de votre travail, il ne vous est permis de retirer qu’une chose à votre profit : le nécessaire, le reste revient aux pauvres. Voilà la loi. Que cette loi comporte, en certains cas et dans des circonstances données, des tempéraments, je ne le nie pas, mais devant la lumière, devant la vérité, devant la justice divine, elle n’en comporte plus.

Et la famille, que deviendra-t-elle ? Sommes-nous quittes envers elle dès que nous avons secouru ce qu’on appelle les pauvres ? Non, évidemment, messieurs, car, du moment où vous reconnaissez la nécessité de vous dépouiller pour les pauvres, il s’agit de faire un choix et d’établir une hiérarchie. Or, vos femmes et vos enfants sont vos premiers pauvres ; sur eux donc, vous devez déverser votre première aumône. Veillez à l’avenir de vos enfants ; soyez soucieux de leur préparer des jours calmes et tranquilles au milieu de cette vallée de larmes ; laissez-leur même en dépôt un léger héritage qui leur permette de continuer le bien que vous aurez commencé : ceci est légitime. Mais ne leur enseignez jamais à vivre égoïstement, et à regarder comme leur ce qui est à tous. Avant et après eux, les auteurs de vos jours, ceux qui vous ont nourris et gardés, ceux qui ont protégé vos premiers pas et guidé votre adolescence, votre père et votre mère, ont droit à votre sollicitude. Puis, viennent les âmes que Dieu vous a données dans vos frères suivant la chair ; puis vos amis de cœur ; puis tous les pauvres, à commencer par les plus misérables.

Vous le voyez, je vous accorde des tempéraments, et j’établis une hiérarchie conforme aux instincts de votre cœur. Prenez garde toutefois, de trop favoriser les uns à l’exclusion des autres. C’est par le partage équitable de vos bienfaits que vous montrerez votre sagesse, et c’est par ce partage équitable encore que vous accomplirez la loi de Dieu à l’égard de vos frères, qui est la loi de solidarité.

« La justice, dit Lamennais, c’est la vie ; la charité, c’est aussi la vie, mais une plus belle et plus douce vie. »

Oui, la charité est une belle et douce vie, c’est la vie des saints, c’est la clef du ciel.

Lacordaire.



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