Madame Gaspard, amie de madame Delanne, était une fervente Spirite ; son regret était de n’être pas médium ; elle aurait surtout désiré être médium voyant. Depuis longtemps elle souffrait beaucoup d’un anévrisme ; le 2 juillet dernier, la rupture de cet anévrisme amena, dans la nuit, la mort subite de cette dame. Madame Delanne n’était pas encore informée de l’événement, lorsque, dans la journée, elle entendit des coups frappés dans les différentes parties de sa chambre ; elle n’y prêta pas d’abord grande attention, mais la persistance de ces coups lui fit penser que quelque Esprit demandait à se communiquer. Comme elle est très bon médium, elle prit le crayon et écrivit ce qui suit :
Oh ! bonne madame Delanne, comme vous me faites attendre ! Je suis accourue pour vous raconter ma nouvelle faculté : je suis médium voyant. J’ai vu mon cher Émile, mes petits enfants, tous, ma mère, la mère de M. Gaspard. Oh ! qu’il va être heureux, quand il va le savoir ! Merci, mon Dieu ! pour une si grande faveur.
D. – Est-ce bien vous, madame Gaspard, qui me parlez en ce moment ?
R. – Comment ! vous ne me voyez pas ? je suis vers vous depuis déjà longtemps. J’étais impatiente de ce que vous ne me répondiez pas. Allons ! vous allez venir, n’est-ce pas ? c’est votre tour maintenant. Et puis, cela vous fera du bien ; nous irons nous promener, maintenant que je vais bien. Oh ! que l’on est heureux de revoir ceux que l’on aime ! c’est pourtant ce qui m’a guérie. Comme le bon Dieu est bon, et comme il tient ses promesses, quand on est fidèle à ses commandements ! — Hein, mon Émile ! et dire que mon pauvre père va encore me dire que je suis folle ! Cela ne fait rien, je lui dirai tout de même. — Allons, partons-nous ? Il faut amener votre mère, cela lui fera dit bien. Pauvre femme ! elle a l’air si bon.
D. — Voyons, bonne madame Gaspard, nous partons, je vous suis ; nous allons bien chez vous, à Châtillon ? † Dites-moi ce que vous voyez, ou plutôt ce qui s’y passe en ce moment.
R. — Singulières choses !
A ce mot, l’Esprit s’en va, et madame Delanne ne peut rien obtenir de plus.
Pour l’intelligence de cette dernière partie de la communication, nous dirons que, depuis quelque temps, une partie de campagne à Châtillon était projetée entre ces deux dames. Madame Gaspard, surprise par une mort subite, ne se rend pas compte de sa position, et se croit encore vivante ; comme elle voit les Esprits de ceux qui lui sont chers, elle se figure être devenue médium voyant ; c’est une particularité remarquable de la transition de la vie corporelle à la vie spirituelle. De plus, madame Gaspard, se trouvant délivrée de ses souffrances, croit être guérie, et vient renouveler son invitation à madame Delanne. Cependant, les idées sont confuses chez elle, car elle vient l’avertir en frappant des coups autour d’elle, sans comprendre qu’elle ne s’y serait pas prise de cette façon si elle eût été vivante.
Madame Delanne comprend de suite la singularité de la position, mais, ne voulant pas la désabuser, l’invite à voir ce qui se passe à Châtillon. Sans doute l’Esprit s’y transporte et est rappelé à la réalité par quelque circonstance inattendue, puisqu’il s’écrie : « Singulière chose ! » et interrompt sa communication.
Au reste, l’illusion ne fut pas de longue durée ; dès le lendemain, madame Gaspard était complètement dégagée, et dicta une excellente communication à l’adresse de son mari et de ses amis, se félicitant d’avoir connu le Spiritisme qui lui avait procuré une mort exempte des angoisses de la séparation.