(Paris, †
16 août 1864. — Médium, madame Delanne.)
1. — Pierre Legay était un riche cultivateur un peu intéressé, mort depuis deux ans et parent de madame Delanne. Il était connu dans le pays sous le sobriquet de Grand-Pierrot. †
L’entretien suivant nous montre un des côtés les plus intéressants du monde invisible, celui des Esprits qui se croient encore vivants. Il a été obtenu par madame Delanne, qui l’a communiqué à la Société de Paris.
L’Esprit s’exprime exactement comme il le faisait de son vivant ; la trivialité même de son langage est une preuve d’identité. Nous avons dû supprimer quelques expressions qui lui étaient familières, à cause de leur crudité.
2.
— [1re ENTRETIEN.]
« Depuis quelque temps, dit madame Delanne, nous entendions frapper des coups autour de nous ; présumant que ce pouvait être un Esprit, nous le prions de se faire connaître. Il écrit aussitôt : Pierre Legay, dit Grand-Pierrot.
1. D. Vous voilà donc à Paris, Grand-Pierrot, vous qui aviez tant envie d’y venir ? — R. Je suis là, mon cher ami ; je suis venu tout seul, puisqu’elle est venue sans moi ; je lui avais cependant tant dit de me prévenir ; mais enfin j’y suis… J’étais ennuyé qu’on ne fasse pas attention à moi.
Remarque. — L’Esprit fait allusion à la mère de madame Delanne, qui depuis quelque temps était venue habiter à Paris, chez sa fille. Il la désigne par une épithète qui lui était habituelle, et que nous remplaçons par elle.
2. D. Est-ce vous qui frappez la nuit ? — R. Où voulez-vous que j’aille ? Je ne peux pas coucher devant la porte.
3. D. Vous couchez donc chez nous ? — R. Mais certainement. Hier, je suis allé me promener avec vous (voir les illuminations). J’ai tout vu.
Oh ! mais c’est beau, là, çà ! A la bonne heure ! on peut dire qu’on fait de belles choses. Je vous assure que je suis bien content ; je ne regrette pas mon argent.
4. D. Par quelle voie êtes-vous venu à Paris ? Vous avez donc pu abandonner vos côtes ? — R. Mais, diable ! je ne puis pas bêcher et puis être ici. Je suis bien content d’être venu. Vous me demandez comment je suis venu ; mais je suis venu par le chemin de fer.
5. D. Avec qui étiez-vous ? — R. Oh bien ! ma foi, je ne les connais pas.
6. D. Qui vous a donné mon adresse ? Dites-moi aussi d’où vous venait la sympathie que vous aviez pour moi ? — R. Mais quand je suis allé chez elle (la mère de madame Delanne), et que je ne l’ai pas trouvée, j’ai demandé à celui qui garde chez elle où elle était. Il m’a dit qu’elle était ici ; alors je suis venu. Et puis voyez, mon ami, je vous aime parce que vous êtes un bon garçon ; vous m’avez plu, vous êtes franc, et puis j’aime bien tous ces enfants-là. Voyez-vous, quand on aime bien les parents, on aime les enfants.
7. D. Dites-nous le nom de la personne qui garde la maison de ma belle-mère, puisqu’elle a les clefs dans sa poche ? — R. Qui j’y ai trouvé ? Mais j’y ai trouvé le père Colbert, qui m’a dit qu’elle lui avait dit de faire attention.
8. D. Voyez-vous ici mon beau-père, papa Didelot ? — R. Comment voulez-vous que je le voie, puisqu’il n’y est pas ? Vous savez bien qu’il est mort.
3.
— (2e entretien, 18 août 1864.)
M. et madame Delanne étant allés passer la journée à Châtillon, † y firent l’évocation de Pierre Legay.
9. D. Vous êtes donc venu à Châtillon ? — R. Mais je vous suis partout.
10. D. Comment y êtes-vous venu ? – R. Vous êtes drôle ! Je suis venu dans la voiture.
11. D. Je ne vous ai pas vu payer votre place ? — R. Je suis monté avec Marianne et puis votre femme ; j’ai cru que vous l’aviez payée. J’étais sur l’impériale ; on ne m’a rien demandé. Est-ce que vous ne l’avez pas payée ? Pourquoi qui ne l’a pas réclamée, celui qui conduit ?
12. D. Combien avez-vous payé en chemin de fer de Ligny † à Paris ? † — R. En chemin de fer, ce n’est pas du tout la même chose. J’ai été de Tréveray † à Ligny à pied, et puis j’ai pris l’omnibus que j’ai bien payé au conducteur.
13. D. C’est bien au conducteur que vous avez payé ? — R. A qui voulez-vous donc que j’aie payé ? Mais, mon cousin, vous croyez donc que je n’ai pas d’argent ? Il y a longtemps que j’avais mis mon argent de côté pour venir. Ce n’est pas parce que je n’ai pas payé ma place ici qu’il faut croire que je n’ai pas d’argent. Je ne serais pas venu sans cela.
14. D. Mais vous ne me répondez pas combien vous avez donné d’argent pour votre parcours en chemin de fer de Nançois-le-Petit † à Paris ? — R. Mais b… j’ai payé comme les autres. J’ai donné 20 fr. et on m’a rendu 3 fr. 60 c. Voyez combien ça fait.
Remarque. — La somme de 16 fr. 40 c. est en effet celle qui est marquée sur l’Indicateur, ce qu’ignoraient M. et madame Delanne.
15. D. Combien êtes-vous resté de temps en chemin de fer de Nançois à Paris ? — R. J’ai resté aussi longtemps que les autres. On n’a pas fait chauffer la machine plus vite pour moi que pour les autres. Du reste, je ne pouvais pas trouver le temps long ; je n’avais jamais voyagé en chemin de fer, et je croyais Paris bien plus loin que ça. Ça ne m’étonne plus que cette mâtine (la belle-mère de M. D…) y vienne si souvent. C’est beau, ma foi, et je suis content de pouvoir courir avec vous. Seulement, vous ne me répondez pas souvent. Je comprends ; vos affaires vous occupent bien. Hier, je n’ai pas osé rentrer avec vous le matin (la maison de commerce où est employé M. D…), et je suis retourné visiter le cimetière Montmartre, † je crois ; n’est-ce pas, c’est comme ça que vous l’appelez ? Il faut bien me dire les noms pour que je puisse les raconter quand je vais m’en retourner. (M. et madame Delanne étaient en effet allés dans la matinée au cimetière Montmartre.)
16. D. Puisque rien ne vous presse au pays, pensez-vous bientôt partir ? — R. Quand j’aurai tout vu, puisque j’y suis. Et puis, ma foi, ils peuvent bien un peu se remuer les autres (ses enfants) ; ils feront comme ils voudront. Quand je n’y serai plus, il faudra bien qu’ils se passent de moi ; qu’en dites-vous, cousin ?
17. D. Comment trouvez-vous le vin de Paris, et la nourriture ? — R. Mais, il ne vaut pas celui que je vous ai fait boire (l’Esprit fait allusion à une circonstance où il fit boire à M. D… du vin de vingt-cinq années de bouteille) ; cependant il n’est pas mauvais. La nourriture, ça m’est bien égal ; souvent je prends du pain et je mange vers vous. Je n’aime pas à salir une assiette ; ce n’est pas la peine quand on n’y est pas habitué. Pourquoi faire des cérémonies ?
18. D. Où couchez-vous donc ? je n’ai pas remarqué votre lit. — R. En arrivant, Marianne est allée dans une chambre noire ; moi, j’ai cru que c’était pour moi ; j’y ai couché. Je vous ai parlé plusieurs fois à tous.
19. D. Est-ce que vous ne craignez pas, à votre âge, de vous faire écraser dans les rues de Paris ? – R. Mais, mon cousin, c’est ce qui m’ennuie le plus, ces diables de voitures ; je ne quitte pas les trottoirs aussi.
20. D. Combien y a-t-il de temps que vous êtes à Paris ? — R. Oh bien ! par exemple, vous savez bien que je suis venu jeudi dernier ; ça fait huit jours, je crois.
21. D. Comme je ne vous ai pas vu de malle, si vous avez besoin de linge, ne vous gênez pas. — R. J’ai pris deux chemises, c’est bien assez ; quand elles seront sales, je m’en retournerai ; je ne voudrais pas vous gêner.
22. D. Voulez-vous nous dire ce que le père Colbert vous a dit avant que vous ne partiez pour Paris ? — R. Il est là dans la maison de Marianne ; il y est depuis longtemps. En la vendant, il a voulu y rester encore. Il dit qu’il ne gêne pas, puisqu’il garde.
23. D. Vous nous avez dit hier que vous ne voyiez pas mon beau-père Didelot, parce qu’il est mort ; comment se fait-il alors que vous voyez si bien le père Colbert, puisqu’il est mort, lui aussi, depuis au moins trente ans ? — R. Oh bien ! ma foi, vous me demandez ce que je ne sais pas ; je n’avais pas réfléchi à cela. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il est là bien tranquille ; je ne peux pas vous en dire davantage.
Remarque. – Le père Colbert est l’ancien propriétaire de la maison de la mère de madame Delanne. Il paraît que depuis sa mort il est resté dans la maison dont il s’est constitué le gardien, et que, lui aussi, se croit encore vivant. Ainsi ces deux Esprits, Colbert et Pierre Legay, se voient et se parlent comme s’ils étaient encore de ce monde, ne se rendant ni l’un ni l’autre compte de leur situation.
4.
— (3e entretien, 19 août 1864.)
24. D. (au guide spirituel du médium). Veuillez nous donner quelques instructions au sujet de l’Esprit Legay, et nous dire s’il est temps de lui faire comprendre sa véritable position ! — R. Oui, mes enfants, il a été troublé depuis vos demandes d’hier ; il ne sait ce qu’il est ; tout pour lui est confus lorsqu’il veut chercher, car il ne réclame pas encore la protection de son ange gardien.
25. D. (à Legay). Êtes-vous là ? — R. Oui, mon cousin, mais je suis tout drôle ; je ne sais pas ce que cela veut dire. Ne t’en va pas sans moi, Marianne.
26. D. Avez-vous réfléchi à ce que nous vous avons prié hier de nous dire au sujet du père Colbert, que vous avez vu vivant tandis qu’il est mort ? — R. Mais je ne peux vous dire comment ça se fait ; seulement j’ai entendu dire dans les temps qu’il y avait des revenants ; ma foi, je crois qu’il est du nombre. On dira ce qu’on voudra, je l’ai bien vu. Mais je suis fatigué, je vous assure ; j’ai besoin d’être un peu tranquille.
27. D. Croyez-vous en Dieu, et faites-vous vos prières chaque jour ? — R. Mais, ma foi, oui ; si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal.
28. D. Croyez-vous à l’immortalité de l’âme ? — R. Oh ! ça, c’est différent ; je ne peux pas me prononcer ; je doute.
29. D. Si je vous donnais une preuve de l’immortalité de l’âme, y croiriezvous ? — R. Oh ! mais, les Parisiens connaissent tout, eux. Je ne demande pas mieux. Comment ferez-vous ?
30. D. (au guide du médium). Pouvons-nous faire l’évocation du père Colbert, pour lui prouver qu’il est mort ? — R. Il ne faut pas aller trop vite ; ramenez-le tout doucement. Et puis, cet autre Esprit vous fatiguerait trop ce soir.
31. D. (à Legay). Où êtes-vous placé, que je ne vous vois pas ? — R. Vous ne me voyez pas ? Ah ! par exemple, c’est trop fort. Vous êtes donc devenu aveugle ?
32. D. Rendez-nous compte de la manière dont vous nous parlez, car vous faites écrire ma femme. — R. Moi ? mais, ma foi, non.
5. — (Plusieurs nouvelles questions sont adressées à l’Esprit, et restent sans réponse. On évoque son ange gardien, et l’un des guides du médium répond ce qui suit :)
« Mes amis, c’est moi qui viens répondre, car l’ange gardien de ce pauvre Esprit n’est pas avec lui ; il n’y viendra que lorsqu’il l’appellera lui-même, et qu’il priera le Seigneur de lui accorder la lumière. Il était encore sous l’empire de la matière, et n’avait pas voulu écouter la voix de son ange gardien qui s’était éloigné de lui, puisqu’il s’obstinait à rester stationnaire. Ce n’est pas lui, en effet, qui te faisait écrire ; il parlait comme il en avait l’habitude, persuadé que vous l’entendiez ; mais c’était son Esprit familier qui conduisait ta main ; pour lui, il causait avec ton mari ; toi, tu écrivais, et tout cela lui semblait naturel. Mais vos dernières questions et votre pensée l’ont reporté à Tréveray ; il est troublé, priez pour lui, vous l’appellerez plus tard ; il reviendra vite. Priez pour lui, nous prierons avec vous. »
6. — Nous avons déjà vu plus d’un exemple d’Esprits se croyant encore vivants. Pierre Legay nous montre cette phase de la vie des Esprits d’une manière plus caractérisée. Ceux qui se trouvent dans ce cas paraissent être plus nombreux qu’on ne pense ; au lieu de faire exception, d’offrir une variété dans le châtiment, ce serait presque une règle, un état normal pour les Esprits d’une certaine catégorie. Nous aurions ainsi autour de nous, non-seulement les Esprits qui ont conscience de la vie spirituelle, mais une foule d’autres qui vivent, pour ainsi dire, d’une vie semimatérielle, se croyant encore de ce monde, et continuant à vaquer, ou croyant vaquer à leurs occupations terrestres. On aurait tort, cependant, de les assimiler en tout aux incarnés, car on remarque dans leurs allures et dans leurs idées quelque chose de vague et d’incertain qui n’est pas le propre de la vie corporelle ; c’est un état intermédiaire qui nous donne l’explication de certains effets dans les manifestations spontanées, et de certaines croyances anciennes et modernes.
Un phénomène qui peut sembler plus bizarre, et ne peut manquer de faire sourire les incrédules, c’est celui des objets matériels que l’Esprit croit posséder. On comprend que Pierre Legay se figure monter en chemin de fer, parce que le chemin de fer est une chose réelle, qui existe ; mais on comprend moins qu’il croie avoir de l’argent et payé sa place.
Ce phénomène trouve sa solution dans les propriétés du fluide périsprital, et dans la théorie des créations fluidiques [v. Mobilier d’outre-tombe], principe important qui donne la clef de bien des mystères du monde invisible.
L’Esprit, par la volonté ou la seule pensée, opère dans le fluide périsprital, qui n’est lui-même qu’une concentration du fluide cosmique ou élément universel, une transformation partielle qui produit l’objet qu’il désire. Cet objet n’est pour nous qu’une apparence, pour l’Esprit c’est une réalité. C’est ainsi qu’un Esprit, mort depuis peu, se présenta un jour dans une réunion spirite, à un médium voyant, une pipe à la bouche et fumant. Sur l’observation qui lui fut faite que ce n’était pas convenable, il répondit : « Que voulez-vous ! j’ai tellement l’habitude de fumer que je ne puis me passer de ma pipe. » Ce qui était plus singulier, c’est que la pipe donnait de la fumée ; pour le médium voyant, bien entendu, et non pour les assistants.
Tout doit être en harmonie dans le monde spirituel comme dans le monde matériel ; aux hommes corporels, il faut des objets matériels ; aux Esprits dont le corps est fluidique, il faut des objets fluidiques ; les objets matériels ne leur serviraient pas plus que des objets fluidiques ne serviraient à des hommes corporels. L’Esprit fumeur, voulant fumer, se créait une pipe, qui, pour lui, avait la réalité d’une pipe de terre ; Legay voulant avoir de l’argent pour payer sa place, sa pensée lui créa la somme nécessaire. Pour lui, il a réellement de l’argent, mais les hommes ne pourraient se contenter de la monnaie des Esprits. Ainsi s’expliquent les vêtements dont ceux-ci se revêtent à volonté, les insignes qu’ils portent, les différentes apparences qu’ils peuvent prendre, etc.
Les propriétés curatives données au fluide par la volonté s’expliquent aussi par cette transformation. Le fluide modifié agit sur le périsprit qui lui est similaire, et ce périsprit, intermédiaire entre le principe matériel et le principe spirituel, réagit sur l’économie, dans laquelle il joue un rôle important, quoique méconnu encore par la science.
Il y a donc le monde corporel visible avec les objets matériels, et le monde fluidique, invisible pour nous, avec les objets fluidiques. Il est à remarquer que les Esprits d’un ordre inférieur et peu éclairés opèrent ces créations sans se rendre compte de la manière dont se produit en eux cet effet ; ils ne peuvent pas plus se l’expliquer qu’un ignorant de la terre ne peut expliquer le mécanisme de la vision, ni un paysan dire comment pousse le blé.
Les formations fluidiques se rattachent à un principe général qui sera ultérieurement l’objet d’un développement complet, quand il aura été suffisamment élaboré.
L’état des Esprits dans la situation de Pierre Legay soulève plusieurs questions. A quelle catégorie appartiennent précisément les Esprits qui se croient encore vivants ? A quoi tient cette particularité ? Tient-elle à un défaut de développement intellectuel et moral ? Nous en voyons de très inférieurs se rendre parfaitement compte de leur état, et la plupart de ceux que nous avons vus dans cette situation ne sont pas des plus arriérés. Est-ce une punition ? C’en est une sans doute pour quelques-uns, comme pour Simon Louvet, du Havre, † le suicidé de la tour de François Ier, n qui, pendant cinq ans, était dans l’appréhension de sa chute (Revue spirite du mois de mars 1863, page 87) ; mais beaucoup d’autres ne sont pas malheureux et ne souffrent pas, témoin Pierre Legay. (Voir pour la réponse la dissertation ci-après.)
7.
— SUR LES ESPRITS QUE SE CROIENT ENCORE VIVANTS.
(Société de Paris, 21 juillet 1864. — Médium, M. Vézy.)
Nous vous avons déjà parlé bien souvent des diverses épreuves et des expiations, mais chaque jour n’en découvrez-vous pas de nouvelles ?
Elles sont infinies comme les vices de l’humanité, et comment vous en établir la nomenclature ? Pourtant vous venez nous réclamer pour un fait, et je vais essayer de vous instruire.
Tout n’est pas épreuve dans l’existence ; la vie de l’Esprit se continue, comme il vous a été dit déjà, depuis sa naissance jusque dans l’infini ; pour les uns la mort n’est qu’un simple accident qui n’influe en rien sur la destinée de celui qui meurt. Une tuile tombée, une attaque d’apoplexie, une mort violente, ne font très souvent que séparer l’Esprit de son enveloppe matérielle ; mais l’enveloppe périspritale conserve, au moins en partie, les propriétés du corps qui vient de choir. Si je pouvais, un jour de bataille, vous ouvrir les yeux que vous possédez, mais dont vous ne pouvez faire usage, vous verriez bien des luttes se continuer, bien des soldats monter encore à l’assaut, défendre et attaquer les redoutes ; vous les entendriez même pousser leurs hourras et leurs cris de guerre, au milieu du silence et sous le voile lugubre qui suit un jour de carnage ; le combat fini, ils retournent à leurs foyers embrasser leurs vieux pères, leurs vieilles mères qui les attendent. Cet état dure quelquefois longtemps pour quelques-uns ; c’est une continuité de la vie terrestre, un état mixte entre la vie corporelle et la vie spirituelle. Pourquoi, s’ils ont été simples et sages, sentiraient-ils le froid de la tombe ? Pourquoi passeraient-ils brusquement de la vie à la mort, de la clarté du jour à la nuit ? Dieu n’est point injuste, et laisse aux pauvres d’esprit cette jouissance, en attendant qu’ils voient leur état par le développement de leurs propres facultés, et qu’ils puissent passer avec calme de la vie matérielle à la vie réelle de l’Esprit.
Consolez-vous donc, vous qui avez des pères, des mères, des frères ou des fils qui se sont éteints sans lutte ; peut-être il leur sera permis de croire encore que leurs lèvres approcheront vos fronts. Séchez vos larmes : les pleurs sont douloureux pour vous, et eux s’étonnent de vous les voir répandre ; ils entourent vos cous de leurs bras, et vous demandent de leur sourire. Souriez donc à ces invisibles, et priez pour qu’ils changent le rôle de compagnons en celui de guides ; pour qu’ils déploient leurs ailes spirituelles qui leur permettront de planer dans l’infini et de vous en apporter les douces émanations.
Je ne vous dis pas, remarquez-le bien, que toutes les morts promptes jettent dans cet état ; non, mais il n’en est pas un seul dont la matière n’ait à lutter avec l’Esprit qui se retrouve. Le duel a eu lieu, la chair s’est déchirée, l’Esprit s’est obscurci à l’instant de la séparation, et dans l’erraticité l’Esprit a reconnu la vraie vie.
Je vais vous dire maintenant quelques mots de ceux pour lesquels cet état est une épreuve. Oh ! qu’elle est pénible ! ils se croient vivants et bien vivants, possédant un corps capable de sentir et de savourer les jouissances de la terre, et quand leurs mains veulent toucher, leurs mains s’effacent ; quand ils veulent approcher leurs lèvres d’une coupe ou d’un fruit, leurs lèvres s’anéantissent ; ils voient, ils veulent toucher, et ils ne peuvent ni sentir ni toucher. Que le paganisme offre une belle image de ce supplice en présentant Tantale ayant faim et soif et ne pouvant jamais toucher des lèvres la source d’eau qui murmurait à son oreille ou le fruit qui semblait mûrir pour lui. Il y a des malédictions et des anathèmes dans les cris de ces malheureux ! Qu’ont-ils fait pour endurer ces souffrances ? Demandez-le à Dieu : c’est la loi ; elle est écrite par lui.
Celui qui touche à l’épée périra par l’épée ; celui qui a profané son prochain sera profané à son tour. La grande loi du talion était inscrite au livre de Moïse, elle l’est encore dans le grand livre de l’expiation.
Priez donc sans cesse pour ceux-là à l’heure de la fin ; leurs yeux se fermeront, et ils s’endormiront dans l’espace, comme ils se seront endormis sur la terre, et retrouveront à leur réveil, non plus un juge sévère, mais un père compatissant, leur assignant de nouvelles œuvres et de nouvelles destinées.
Saint Augustin.
[Revue
d’Avril 1865.]
8.
— PIERRE LEGAY DIT GRAND-PIERROT.
(Suite.—
Voir la Revue de novembre 1864.)
Pierre Legay, parent de madame Delanne, nous a offert le singulier spectacle d’un Esprit qui, deux ans après sa mort, se croyait encore vivant, vaquait à ses affaires, voyageait en voiture, payait sa place en chemin de fer, visitait Paris pour la première fois, etc. Nous donnons aujourd’hui la conclusion de cet état, qu’il serait difficile de comprendre, si l’on ne se reportait aux détails donnés dans la Revue de novembre 1864, page 339.
M. et Mme Delanne avaient inutilement cherché à tirer leur parent de son erreur ; leur guide spirituel leur avait dit d’attendre, le moment n’étant pas encore venu.
Dans les premiers jours du mois de mars dernier, ils adressèrent la question suivante à leur guide :
Depuis la dernière visite de Pierre Legay, mentionnée dans la Revue Spirite, nous n’avons pu obtenir de lui aucune réponse. Vous nous avez dit à ce sujet que, lorsque le moment serait venu, il nous donnerait lui-même ses impressions. Pensez-vous qu’il le puisse maintenant ? – R. Oui, mes enfants ; l’heure est arrivée. Il pourra vous répondre et il vous fournira divers sujets d’études et d’enseignements. Dieu a ses vues.
1. D. (A Pierre Legay). Cher ami, êtes-vous là ? – R. Oui, mon ami.
2. D. Voyez-vous mon but en vous évoquant aujourd’hui ? – R. Oui, car j’ai près de moi des amis qui m’ont instruit sur tout ce qui se passe d’étonnant en ce moment sur la terre. Mon Dieu quelle chose étrange que tout cela !
3. D. Vous dites que vous avez des amis qui vous entourent et qui vous instruisent ; pouvez-vous nous dire qui ils sont ? – R. Oui, ce sont des amis, mais je ne les connais que depuis que je suis réveillé ; car savezvous que j’ai dormi ? J’appelle dormir ce que vous appelez mourir.
4. D. Pouvez-vous nous dire le nom de quelques-uns de ces amis ? – R. J’ai constamment à mes côtés un homme, que je devrais plutôt nommer un ange, car il est si doux, si bon, si beau que je crois que les anges doivent être tous comme ça là. Et puis il y a Didelot (le père de madame Delanne) qui est là aussi ; puis vos parents, mon ami. Oh ! comme ils sont bons ! Il y a aussi : ah ! c’est drôle, comme on se retrouve, notre sœur supérieure. Par exemple, elle est toujours la même ; elle n’a point changé. Mais que c’est donc curieux que tout cela !
Nota. La sœur que l’Esprit désigne habitait la commune de Treveray et avait donné les premières instructions à madame Delanne. Elle ne s’était manifestée qu’une seule fois, trois ans auparavant.
Tiens ! vous aussi, jardinier ! (nom familier donné à un oncle de madame Delanne, et qui ne s’était jamais manifesté). Mais, que je suis bête ! C’est chez votre nièce que nous sommes. Eh bien, je suis content de vous voir ; ça me met à mon aise ; car, ma parole d’honneur, je suis transporté je ne sais où depuis quelque temps ; je vais plus vite que le chemin de fer, et je parcours l’espace sans pouvoir me rendre compte comment. Etes-vous comme moi, Didelot ? Il a l’air de trouver cela tout naturel ; il paraît qu’il y est déjà habitué. Du reste, il y a plus longtemps que moi qu’il le fait (il est mort depuis six ans), et je comprends qu’il en soit moins étonné. Mais que c’est donc drôle ! ah ! c’est bien drôle !
Dites-moi, vous savez, avec vous, mon cousin, je suis à mon aise. Eh bien, franchement, dites-moi donc, qu’appelle-t-on mourir ?
5. M. DELANNE : On appelle mourir, mon ami, laisser son corps grossier à la terre pour donner à l’âme le dégagement dont elle a besoin pour rentrer dans la vie réelle, la grande vie de l’Esprit. Oui, vous y êtes, cher ami, dans ce monde encore inconnu pour beaucoup d’hommes de la terre. Vous voilà sorti de la léthargie ou engourdissement qui suit la séparation du corps et de l’âme. Vous voyez votre ange gardien, des amis qui vous entourent ; ce sont eux qui vous ont amené parmi nous, pour vous prouver l’immortalité et l’individualité de votre âme. Soyez-en fier et heureux, car, vous le voyez maintenant, la mort c’est la vie. Voilà pourquoi aussi vous traversez l’espace avec la rapidité de l’éclair, et que vous pouvez causer avec nous à Paris, comme si vous aviez un corps matériel comme le nôtre. Ce corps, vous ne l’avez plus ; vous n’avez maintenant qu’une enveloppe fluidique et légère qui ne vous retient plus à la terre.
P. LEGAY : Singulière expression : mourir ! Mais donnez donc un autre nom au moment où l’âme laisse son corps à la terre, car cet instant n’est pas celui de la mort… Je me souviens… J’étais à peine débarrassé des liens qui me retenaient à mon corps, que mes souffrances, au lieu de diminuer, ne firent qu’accroître. Je voyais mes enfants qui se disputaient pour avoir chacun la part de ce qui leur revenait. Je les voyais ne pas prendre soin des terres que je leur laissais, et alors je m’étais mis à travailler avec encore plus de force que jamais. J’étais là, regrettant de voir qu’on ne me comprenait pas ; donc je n’étais pas mort. Je vous assure que j’éprouvais les mêmes craintes et les mêmes fatigues qu’avec mon corps, et pourtant je ne l’avais plus. Expliquez-moi cela ; si c’est comme ça qu’on meurt, c’est une drôle de manière de mourir. Dites-moi votre idée là-dessus, et puis après je vous dirai la mienne, car maintenant, ces bons amis-là ont la bonté de me le dire. Allons, mon cousin, dites-moi votre idée.
6. M. DELANNE : Mon ami, lorsque les Esprits quittent leur corps, ils sont enveloppés d’un deuxième corps, comme je vous l’ai dit ; celui-ci est fluidique ; ils ne le quittent jamais. Eh bien, c’est avec ce corps que vous croyiez travailler, comme du vivant de l’autre. Vous pouvez épurer ce corps à moitié matériel par votre avancement moral ; et si le mot mort ne vous convient pas pour préciser ce moment, appelez-le transformation si vous voulez. Si vous avez eu à souffrir des choses qui vous ont été pénibles, c’est que vous-même, de votre vivant, vous vous êtes peut-être un peu trop attaché aux choses matérielles, en négligeant les choses spirituelles qui intéressaient votre avenir. (Il était très intéressé.) C’est un petit châtiment que Dieu vous a imposé pour racheter vos fautes en vous donnant le moyen de vous instruire et d’ouvrir vos yeux à la lumière.
P. LEGAY : Eh bien ! mon cher, ce n’est pas à ce moment qu’il faut donner le nom de transformation, car l’Esprit ne se transforme pas si vite s’il n’est aidé immédiatement à se reconnaître par la prière, et si on ne l’éclaire pas sur sa véritable position, soit, comme je viens de le dire, en priant pour lui, soit en l’évoquant. C’est pourquoi il y a tant d’Esprits, comme le mien, qui restent stationnaires. Il y a pour l’Esprit de la catégorie du mien transition, mais non transformation ; il ne sait pas se rendre compte de ce qui lui arrive. J’ai traîné, ou plutôt j’ai cru traîner mon corps avec la même peine et les mêmes maux que sur la terre. Lorsque j’ai été détaché de mon corps, savez-vous ce que j’ai éprouvé ?
Eh bien ! ce que l’on éprouve après une chute qui vous étourdit un moment, ou plutôt après une faiblesse, et que l’on vous fait revenir avec du vinaigre. Je me suis réveillé sans m’apercevoir que mon corps m’avait quitté. Je suis venu ici à Paris, où je suis, pensant bien y être en chair et en os, et vous n’auriez pas pu me convaincre du contraire si depuis je n’étais pas mort.
Oui, on meurt, mais ce n’est pas au moment où l’on quitte son corps ; c’est au moment où l’Esprit s’apercevant de sa véritable position, il lui prend un vertige, ne sait plus comprendre ce qu’on lui dit, ne voit plus les choses qu’on lui explique de la même manière ; alors il se trouble ; voyant qu’il n’est plus compris, il cherche, et, comme l’aveugle qui est frappé subitement, il demande un conducteur qui ne vient pas de suite, non dà ; il faut qu’il reste quelque temps dans les ténèbres où tout est confus pour lui ; il est troublé, et il faut que le désir le pousse avec ardeur à demander la lumière, qui ne lui est accordée qu’après que l’agonie est terminée et que l’heure de la délivrance est arrivée. Eh bien, mon cousin, c’est quand l’Esprit se trouve dans ce moment que c’est le moment de la mort, car on ne sait plus se reconnaître. Il faut, je le répète, qu’on soit aidé par la prière pour sortir de cet état, et c’est aussi lorsque l’heure de la délivrance est arrivée qu’il faut employer le mot transformation pour les Esprits de mon ordre.
Oh ! merci de vos bonnes prières, merci, mon ami ; vous savez combien je vous aimais, je vous aimerai bien davantage encore maintenant. Continuez-moi vos bonnes prières pour mon avancement.
Merci à l’homme qui a su mettre au jour ces grandes vérités saintes dont tant d’autres avant lui avaient dédaigné de s’occuper. Oui, merci d’avoir associé mon nom à tant d’autres. On a prié pour moi en lisant les quelques lignes que j’étais venu vous donner. Merci donc aussi à tous ceux qui ont prié pour moi, et aujourd’hui, grâce à la prière, je suis arrivé à en comprendre la portée. A mon tour, je tâcherai de vous être utile à tous.
Voilà ce que j’avais à vous dire, et soyez tranquilles ; aujourd’hui, je n’ai plus d’argent à regretter, mais au contraire j’ai tout mon temps à vous donner.
N’est-ce pas que ce changement doit vous étonner beaucoup ? Eh bien, désormais, comme à présent, ça sera comme ça, car je vois bien clair maintenant, là, et de très loin.
Pierre Legay.
Remarque. – Le nouvel état où se trouve Pierre Legay en cessant de se croire de ce monde, peut être considéré comme un second réveil de l’Esprit. Cette situation se rattache à la grande question de la mort spirituelle [Perte du périsprit] qui est à l’étude en ce moment. Nous remercions les Spirites qui, sur notre récit, ont prié pour cet Esprit. Ils peuvent voir qu’il s’en est aperçu et s’en est bien trouvé.
Il y a une image de ce article (Conclusion.
— Revue Spirite Avril 1865) dans le service Google — Recherche de livres.
[1] La Tour François Ier, juste avant sa destruction :
http://lehavredavant.canalblog.com/archives/2010/01/17/16548761.html