1. — Il est donné communication d’une lettre adressée de Tonnay-Charente † (Charente-Inférieure), à M. Allan Kardec, contenant les réponses dictées à un médium de cette ville sur les questions les plus délicates des dogmes de l’Église. Ces questions, adressées à l’Esprit de Jésus, fils de Dieu, évoqué à cet effet, sont les suivantes :
1º L’enfer est-il éternel ?
2º Veuillez mettre à la portée de mon intelligence l’explication que je vous ai demandée sur la cène qui a précédé votre Passion ?
3º Pourquoi votre Passion s’est-elle accomplie ?
4º Que dois-je penser de la communion ? Etes-vous dans l’hostie, mon Jésus ?
5º Le pouvoir temporel, qu’a-t-il de commun avec le pouvoir spirituel pour n’en pouvoir être séparé ?
6º Qu’est-ce que l’amour a de si précieux pour être dans le cœur de tous les hommes ?
7º Qu’est-ce que l’histoire sacrée, et qui l’a faite ?
8º Que veut-on dire par ces paroles : histoire sacrée ?
L’auteur de la lettre demande que la Société se prononce en séance solennelle sur la valeur des réponses qu’il a obtenues, et sur l’authenticité du nom de l’Esprit qui les a données.
Le comité, après avoir examiné la question, propose la résolution suivante, dont il est donné lecture à la Société, qui l’approuve chaleureusement, à l’unanimité, et en demande l’insertion dans la Revue spirite pour l’instruction de tout le monde, et afin que l’on comprenne l’inutilité d’adresser à l’avenir des questions sur de pareils sujets.
Si l’auteur se fût borné à la première question, il suffirait de le renvoyer au Livre des Esprits, où elle est traitée. Du reste, la question est mal posée ; on ne sait s’il entend l’éternité d’un lieu d’expiation, ou celle des peines infligées à chaque individu.
2. DÉCISION PRISE PAR LA SOCIÉTÉ SPIRITE DE PARIS SUR LES QUESTIONS PROPOSÉES PAR M. …, DE TONNAY-CHARENTE.
Dans sa séance du 13 février 1863.
La Société spirite de Paris, † après avoir pris connaissance de la lettre de M.…, et des questions sur lesquelles il désire qu’elle se prononce dans une séance solennelle, croit devoir rappeler à l’auteur de cette lettre que le but essentiel du Spiritisme est la destruction des idées matérialistes, et l’amélioration morale de l’homme ; qu’il ne s’occupe nullement de discuter les dogmes particuliers de chaque culte, laissant leur appréciation à la conscience de chacun ; que ce serait méconnaître ce but que d’en faire l’instrument d’une controverse religieuse dont l’effet serait de perpétuer un antagonisme qu’il tend à faire disparaître, en appelant tous les hommes sous le drapeau de la charité, et en les amenant à ne voir dans leurs semblables que des frères quelles que soient leurs croyances. S’il est, dans certaines religions des dogmes controversables, il faut laisser au temps et au progrès des lumières le soin de leur épuration ; le danger des erreurs qu’ils pourraient renfermer disparaîtra à mesure que les hommes feront du principe de la charité la base de leur conduite. Le devoir des vrais Spirites, de ceux qui comprennent le but providentiel de la doctrine, est donc, avant tout, de s’attacher à combattre l’incrédulité et l’égoïsme, qui sont les véritables plaies de l’humanité, et à faire prévaloir, autant par l’exemple que par la théorie, le sentiment de la charité, qui doit être la base de toute religion rationnelle, et servir de guide dans les réformes sociales ; les questions de fond doivent passer avant les questions de formes ; or, les questions de fond sont celles qui ont pour objet de rendre les hommes meilleurs, attendu que tout progrès social ou autre ne peut être que la conséquence de l’amélioration des masses ; c’est à cela que tend le Spiritisme, et par là il prépare les voies à tous les genres de progrès moraux. Vouloir agir autrement, c’est commencer un édifice par le faîte avant d’en asseoir les fondements ; c’est semer sur un terrain avant de l’avoir défriché.
Comme application des principes ci-dessus, la Société spirite de Paris s’est interdit par son règlement toutes les questions de controverses religieuses, de politique et d’économie sociale, et elle ne cèdera à aucune incitation qui tendrait à la faire dévier de cette ligne de conduite.
Par ces motifs, elle ne saurait émettre ni officiellement, ni officieusement d’opinions sur la valeur des réponses dictées au médium de M. …, ces réponses étant essentiellement dogmatiques, et même politiques, et encore moins en faire l’objet d’une discussion solennelle, ainsi que le demande l’auteur de la lettre.
Quant au livre devant traiter ces questions, et dont la publication est prescrite par l’Esprit qui l’a dicté, la Société n’hésite pas à déclarer qu’elle regarderait cette publication comme inopportune et dangereuse, en ce qu’elle ne pourrait que fournir des armes aux ennemis du Spiritisme ; elle croirait, en conséquence, de son devoir de la désavouer, comme elle désavoue toute publication propre à fausser l’opinion sur le but et les tendances de la doctrine.
En ce qui concerne la nature de l’Esprit qui a dicté ces communications, la Société croit devoir rappeler que le nom que prend un Esprit n’est jamais une garantie de son identité ; qu’on ne saurait voir une preuve de sa supériorité dans quelques idées justes qu’il émettrait, si avec ces idées il s’en trouve de fausses. Les Esprits vraiment supérieurs sont logiques et conséquents dans tout ce qu’ils disent ; or, ce n’est pas le cas de celui dont il s’agit ; sa prétention de croire que ce livre doit avoir pour conséquence d’engager le gouvernement à modifier certaines parties de sa politique, suffirait pour faire douter de son élévation et encore mieux du nom qu’il prend, parce que cela n’est pas rationnel. Son insuffisance ressort encore de deux autres faits non moins caractéristiques.
Le premier est qu’il est complètement faux que M. Allan Kardec ait reçu mission, ainsi que le prétend l’Esprit, d’examiner et de faire publier le livre dont il s’agit ; s’il a mission de l’examiner, ce ne peut être que pour en faire sentir les inconvénients et en combattre la publication.
Le second fait est dans la manière dont l’Esprit exalte la mission du médium, ce que ne font jamais les bons Esprits, et ce que font, au contraire, ceux qui veulent s’imposer en captant la confiance par quelques belles paroles, à l’aide desquelles ils espèrent faire passer le reste.
En résumé, il demeure évident pour la Société que le nom dont se pare l’Esprit, qui dit être le Christ, est apocryphe ; elle croit devoir engager l’auteur de la lettre ainsi que son médium à ne pas se faire illusion sur ces communications, et à se renfermer dans le but essentiel du Spiritisme.
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