Un de nos correspondants nous écrit d’une ville du Midi :
« Je viens aujourd’hui vous fournir une nouvelle preuve que la croisade dont je vous ai parlé se traduit sous mille formes. J’assistais hier à une réunion où l’on discutait chaudement pour et contre le Spiritisme. Un des assistants avança le fait suivant : « Les expériences de M. Allan Kardec ne sont pas meilleures que celles dont nous parlions tout à l’heure. M. Kardec se garde bien de raconter dans sa Revue toutes les mystifications et les tribulations qu’il essuie. Savez-vous, par exemple, que l’année dernière, au mois de septembre, dans une réunion d’environ trente personnes qui eut lieu chez ce même M. Kardec, tous les assistants furent rossés à coups de bâton par les Esprits. J’étais à Paris † à cette époque, et je tiens ce détail d’une personne qui venait d’assister à cette réunion et qui me montra sur son épaule la place meurtrie par un coup violent qu’elle avait reçu. – Je n’ai pas vu le bâton, me dit-elle, mais j’ai senti le coup. »
« Je n’ai pas besoin de vous dire que je tiens à être éclairé sur ce point, et que je vous serai très reconnaissant des explications que vous aurez la bonté de me donner, etc. »
Nous n’aurions pas entretenu nos lecteurs d’un fait aussi insignifiant, s’il ne nous avait fourni le sujet d’une instruction qui peut avoir son utilité en ce moment, car nous n’en finirions pas, s’il nous fallait relever tous les contes absurdes que l’on débite.
Réponse. — Mon cher monsieur, le fait dont vous me parlez est dans les choses possibles, et il y en a plus d’un exemple ; dire qu’il s’en est passé un chez moi, c’est donc reconnaître explicitement la manifestation des Esprits ; toutefois, la forme du récit dénote une intention dont je ne puis savoir beaucoup de gré à l’auteur ; ce peut être un croyant, mais assurément il n’est pas bienveillant et oublie la base de la morale spirite : la charité. Si le fait rapporté avait eu lieu, ainsi que le prétend la personne si bien informée, je n’aurais eu garde de le passer sous silence, car ce serait un fait capital qu’on ne pourrait révoquer en doute, puisqu’il aurait eu, comme on le dit, trente témoins emportant sur leurs épaules la preuve de l’existence des Esprits. Malheureusement pour votre narrateur, il n’y a pas un mot de vrai dans ce récit ; je lui donne donc un démenti formel, ainsi qu’à celui qui affirme avoir assisté à la séance, et les mets l’un et l’autre au défi de venir soutenir leur assertion devant la Société de Paris, comme ils le font à deux cents lieues.
Les faiseurs de contes ne pensent pas à tout et se prennent à leur propre piège ; c’est ce qui a lieu dans cette circonstance, car il y a, pour le fait si positivement affirmé par un témoin soi-disant oculaire, une impossibilité matérielle, c’est que la société suspend ses séances du 15 août au 1er octobre ; que, parti de Paris à la fin du mois d’août, je ne suis rentré que le 20 octobre ; que, par conséquent, dans le mois de septembre j’étais en plein voyage ; c’est donc, comme vous le voyez, un alibi des plus authentiques.
Si donc la personne en question portait sur ses épaules la marque des coups du bâton, puisqu’il n’y a point eu de réunion chez moi, c’est qu’elle les a reçus autre part, et que, ne voulant pas dire où ni comment, elle a trouvé plaisant d’en accuser les Esprits, ce qui était moins compromettant et coupait court à toute explication.
Vous faites en vérité trop d’honneur, mon cher monsieur, à ce petit conte ridicule, de le ranger parmi les actes de croisade contre le Spiritisme ; il y en a tant de cette nature qu’il faudrait n’avoir rien autre chose à faire pour se donner la peine de les relever. L’hostilité se traduit par des actes plus sérieux, et qui pourtant ne sont pas plus inquiétants.
Vous prenez les diatribes de nos adversaires trop à cœur ; songez donc que plus ils se démènent pour combattre le Spiritisme, plus ils prouvent son importance ; si ce n’était qu’un mythe ou un rêve creux, ils ne s’en inquièteraient pas autant ; ce qui les rend si furieux et si acharnés contre lui, c’est de le voir avancer contre vent et marée, et de sentir se rétrécir de plus en plus le cercle dans lequel ils se meuvent.
Laissez donc les mauvais plaisants inventer des contes à dormir debout, et d’autres jeter le venin de la calomnie, car de pareils moyens sont la preuve de leur impuissance à l’attaquer par de bonnes raisons.
Le Spiritisme n’a rien à en redouter, au contraire ; ce sont les ombres qui en font ressortir l’éclat ; les menteurs en sont pour leurs frais d’invention, et les calomniateurs pour la honte qui en rejaillit sur eux.
Le Spiritisme a le sort de toutes les vérités nouvelles qui soulèvent les passions des gens dont elles peuvent froisser les idées ou les intérêts ; or, voyez si toutes les grandes vérités qui ont été combattues avec le plus d’acharnement n’ont pas surmonté tous les obstacles qu’on leur a opposés, si une seule a succombé sous les attaques de ses ennemis ; les idées nouvelles qui n’ont brillé que d’un éclat passager sont tombées par elles-mêmes, et parce qu’elles n’avaient pas en elles la vitalité que donne seule la vérité ; ce sont celles qui ont été le moins attaquées, tandis que celles qui ont prévalu l’ont été avec plus de violence.
Ne pensez pas que la guerre dirigée contre le Spiritisme soit arrivée à son apogée ; non, et il faut encore que certaines choses s’accomplissent pour dessiller les yeux des plus aveugles. Je ne puis ni ne dois en dire davantage pour le moment, car je ne dois pas entraver la marche nécessaire des événements ; mais je vous dis en attendant : Quand vous entendrez des déclamations furibondes, quand vous verrez des actes d’hostilité matériels, de quelque part qu’ils viennent, loin de vous en émouvoir, applaudissez-y d’autant plus qu’ils pourront avoir plus de retentissement, c’est un des signes annoncés du prochain triomphe.
Quant aux vrais Spirites, ils doivent se distinguer par la modération, et laisser à leurs antagonistes le triste privilège des injures et des personnalités qui ne prouvent rien, sinon un manque de savoir-vivre d’abord, et la pénurie de bonnes raisons ensuite.
Quelques mots encore, je vous prie, pour profiter de l’occasion, sur la conduite à tenir à l’égard des adversaires. Autant il est du devoir de tout bon Spirite d’éclairer ceux qui, de bonne foi, cherchent à l’être, autant il est inutile de discuter avec des antagonistes de mauvaise foi ou de parti pris, qui souvent même sont plus convaincus qu’ils ne le paraissent, mais ne veulent pas l’avouer ; avec ceux-ci toute polémique est oiseuse, parce qu’elle est sans but et ne peut avoir pour résultat de leur faire changer d’opinion. Assez de gens de bonne volonté nous réclament, pour ne pas perdre notre temps avec les autres.
Telle est la ligne de conduite que j’ai de tout temps conseillée, et telle est celle que j’ai invariablement suivie moi-même, m’étant toujours abstenu de céder aux provocations qui m’ont été faites de descendre dans l’arène de la controverse. Si parfois je relève certaines attaques et certaines assertions erronées, c’est pour montrer que ce n’est pas la possibilité de répondre qui manque, et donner aux Spirites des moyens de réfutation au besoin. Il en est d’ailleurs que je réserve pour plus tard ; n’ayant aucune impatience, j’observe tout avec calme et sang-froid ; j’attends avec confiance que le moment opportun soit venu, car je sais qu’il viendra, laissant les adversaires s’engager dans une voie sans issue pour eux. La mesure de leurs agressions n’est pas comblée, et il faut qu’elle le soit ; le présent prépare l’avenir. Il n’est jusqu’ici aucune objection sérieuse qui ne se trouve réfutée dans mes écrits ; je ne puis donc qu’y renvoyer pour ne pas me répéter sans cesse avec tous ceux à qui il plaît de parler de ce dont ils ne savent pas le premier mot. Toute discussion devient superflue avec des gens qui n’ont pas lu, ou, s’ils l’ont fait, prennent, de dessein prémédité, le contre-pied de ce qui est dit.
Les questions de personnes s’effacent devant la grandeur du but et l’ensemble du mouvement irrésistible qui s’opère dans les idées ; peu importe donc que tel ou tel soit contre le Spiritisme, quand on sait qu’il n’est au pouvoir de qui que ce soit d’empêcher les faits de s’accomplir ; c’est ce que l’expérience confirme chaque jour.
Je dis donc à tous les Spirites : continuez à semer l’idée ; répandez-la par la douceur et la persuasion, et laissez à nos antagonistes le monopole de la violence et de l’acrimonie auxquelles on n’a recours que lorsqu’on ne se sent pas assez fort par le raisonnement.
Votre tout dévoué,
A. K.
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