1. — Sans rappeler ici les innombrables phénomènes qui ressortent du Spiritisme expérimental, et prouvent, avec la dernière évidence, l’indépendance de l’Esprit et de la matière, nous appellerons l’attention sur un fait vulgaire dont on n’a pas, que nous sachions, tiré toutes les conséquences, et qui, cependant, est de nature à frapper tout observateur sérieux ; nous voulons parler de ce qui se passe dans le somnambulisme naturel ou artificiel, dans les étranges facultés qui se développent chez les cataleptiques, dans le phénomène non moins étrange de la double vue, aujourd’hui parfaitement avéré, même par les incrédules, mais dont ils n’ont point cherché la cause, quoique la chose en valût bien la peine.
La lettre suivante, que nous adresse un honorable médecin du Tarn, † prouve par quel enchaînement d’idées un homme qui réfléchit peut passer de l’incrédulité à la croyance à l’aide du seul raisonnement et de l’observation faite de bonne foi.
2. — Monsieur,
« Confondu dans la masse des douteurs et des incrédules, la lecture du Livre des Esprits a produit sur moi une bien vive sensation. La douce satisfaction qui m’est restée de cette lecture m’a fait naître le désir bien naturel de croire sans nulle restriction à tous les enseignements donnés, dans ce livre, par les Esprits. Pour parvenir à ce but, j’aurais d’abord voulu constater par moi-même la réalité des communications ; j’ai donc travaillé à devenir médium, mais je n’ai pas réussi, et je me suis ainsi vu arrêté dans mes recherches. Lassé de vivre dans mon incertitude, j’ai dû prendre la résolution de m’en rapporter aux observations d’autrui, mais comme je ne suis pas d’un naturel facile à persuader, je sentais le besoin de les connaître pour pouvoir juger de leur réalité. Après avoir parcouru les quatre premières années de la Revue spirite, et avoir surtout remarqué avec quelles précautions les nombreux faits y sont rapportés, que les manifestations des Esprits et leurs communications se trouvent toujours constatées par des personnes honorables, désintéressées et dignes de foi, on ne peut plus conserver aucun doute sur leur authenticité.
« Mais une fois les communications admises, j’avais encore à me faire une idée du degré de confiance qu’on devait accorder aux révélations, et surtout à celles qui constituent la base de la philosophie spirite. Dans cette appréciation, les flammes de l’enfer ne pouvaient guère m’arrêter, à moins de nier la bonté infinie de Dieu ; la différence des religions ne portait guère non plus obstacle à ma logique, attendu qu’en semant du bien, le plus simple bon sens dit assez qu’on ne peut en récolter du mal. Mais il me restait le point capital de la réincarnation. Le somnambulisme m’a été, à ce sujet, d’un puissant secours, et, s’il ne résout pas entièrement la question, il la rend, selon moi, si probable, qu’il faudrait une assez forte dose de mauvais vouloir pour ne pas l’admettre. Et d’abord, si l’existence de l’âme n’était pas déjà assez démontrée par les manifestations et les communications des Esprits, elle serait clairement prouvée par la vision à distance et à travers les corps opaques, qui ne peut être expliquée que par son intermédiaire. Ensuite, après avoir fait la part des facultés de l’âme dégagée de la matière, telles que la vue à distance, la communication des pensées, etc., le somnambulisme nous fait découvrir chez le sujet des connaissances bien plus étendues que celles que possède le même sujet à l’état de veille. Il résulte de ce fait que l’âme doit être plus ancienne que le corps, puisque, créée en même temps que lui, elle ne pourrait avoir des connaissances autres que celles qu’elle aurait acquises durant l’existence de ce dernier.
« Mais après avoir constaté que l’âme est plus ancienne que le corps, on n’éprouve plus aucune répugnance à lui accorder d’autres incarnations, car si l’existence actuelle n’est pas le commencement, rien ne prouve qu’elle soit la dernière ; elles deviennent au contraire fort naturelles et même indispensables. Il y a plus : le somnambule, à l’état de veille, n’a généralement aucun souvenir de ce qu’il a dit ou fait pendant son sommeil ; mais pendant son sommeil il retrouve sans difficulté tout ce qu’il a fait, non-seulement pendant les sommeils précédents, mais encore pendant l’état de veille. N’est-ce pas là le tableau exact de l’existence de l’âme dans ses nombreux états errants et incarnés avec ses souvenirs et ses oublis ?
« Enfant du peuple, mon instruction, extrêmement médiocre et acquise par moi-même, remonte à peine au tiers de mon âge qui est de quarante-deux ans, aussi il me semble qu’une plume tant soit peu expérimentée ferait ressortir bien plus clairement de ce sujet les vérités que j’ai essayé d’y découvrir. Cependant, pour aussi imparfaits que soient ces divers rapprochements, ils ont suffi à déterminer ma conviction, et je m’estimerais heureux si vous les jugiez dignes de pouvoir exercer la même influence sur d’autres.
« Quoique ma conviction soit de date fort récente, elle a commencé à porter ses fruits, et, indépendamment des heureuses modifications qu’elle a déjà apportées dans mes manières d’être, elle est pour moi la source de bien douces consolations. Ces heureux changements sont uniquement dus à la connaissance de vos ouvrages ; aussi je vous prie, monsieur, de daigner agréer l’éternelle reconnaissance de celui qui désire à l’avenir être compté au nombre de vos plus fervents adeptes.
« G… »
3. — La vue à distance, les impressions que ressent le somnambule selon le milieu qu’il va visiter, prouvent qu’une partie de son être est transportée ; or, puisque ce n’est pas son corps matériel, visible, qui n’a pas changé de place, ce ne peut être que le corps fluidique, invisible et sensitif. N’est-ce pas le fait le plus patent de la double existence corporelle et spirituelle ?
Mais sans parler de cette singulière faculté qui n’est pas générale, il suffit d’observer ce qui se passe chez les somnambules les plus vulgaires ; la dualité se manifeste d’une manière non moins évidente, ainsi que le fait remarquer notre correspondant, dans le phénomène de l’oubli au réveil. Il n’est personne qui, ayant observé les effets magnétiques, n’ait été à même de constater l’instantanéité à de cet oubli. Un somnambule parle, sa conversation est parfaitement suivie et rationnelle ; on le réveille subitement, au milieu d’une phrase, d’un mot même qu’il ne peut achever, puis, si on lui demande ce qu’il vient de dire, si on lui rappelle le mot commencé, il répond qu’il n’a rien dit. Si la pensée était le produit de la matière cérébrale, pourquoi cet oubli, puisque cette matière est toujours là, et toujours la même ? pourquoi un instant suffit-il pour changer le cours des idées ? Mais ce qui est plus caractéristique encore, c’est le ressouvenir parfait, dans un nouveau sommeil, de ce qui s’est dit et fait dans un sommeil précédent, quelquefois à un an d’intervalle. Ce fait seul prouverait qu’à côté de la vie du corps il y a la vie de l’âme, et que l’âme peut agir et penser d’une manière indépendante. Si elle peut manifester cette indépendance pendant la vie du corps dont elle subit toujours plus ou moins les entraves, à plus forte raison le peut-elle quand elle jouit de toute sa liberté.
Les conséquences que notre correspondant tire de ces phénomènes pour prouver l’antériorité de l’âme et la pluralité des existences sont parfaitement logiques. Les phénomènes somnambuliques, comme tant d’autres, semblent amenés par la Providence pour nous mettre sur la voie du mystère de la pensée. La science, pourtant, ne daigne pas les regarder ; pour les voir, elle ne détournera pas les yeux d’un polype, d’un champignon ou d’un filet nerveux. Il est vrai que l’âme ne se montre pas à la pointe du scalpel, ni sous la loupe ; mais comme on juge la cause par les effets, les effets de l’âme sont à chaque instant sous vos yeux et vous ne les regardez pas ; vous feriez cent lieues pour observer un phénomène astronomique sans utilité pratique, tandis que vous n’avez que des sarcasmes et du dédain quand il s’agit des phénomènes de l’âme qui sont à votre portée, et qui intéressent toute l’humanité dans son présent et dans son avenir.
Si la science officielle renonce difficilement à ses préjugés, il serait injuste d’en faire tomber la responsabilité sur tous les savants ; il se manifeste parmi eux un mouvement de bon augure à l’égard des idées nouvelles ; les adhésions individuelles et tacites sont nombreuses, mais plus que d’autres, peut-être, ils craignent encore de se mettre en évidence ; il suffira que quelques sommités lèvent le drapeau, pour faire taire les scrupules des autres, imposer silence aux mauvais plaisants et faire réfléchir les agresseurs intéressés ; c’est ce qu’on ne peut tarder à voir.
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