1. — Une lettre qui nous est adressée contient le passage suivant : « Je viens d’avoir une discussion avec le curé d’ici sur la doctrine spirite ; au sujet de la réincarnation il m’a dit de lui dire lequel des corps prendra l’Esprit d’Élie au dernier jugement annoncé par l’Église pour se présenter devant Jésus-Christ ; si ce sera son premier ou son second. Je n’ai pas pu lui répondre ; il a ri et m’a dit que nous n’étions pas forts, messieurs les Spirites. »
Nous ne savons lequel des deux a provoqué la discussion ; dans tous les cas, il y a toujours imprudence à s’engager dans une controverse quand on ne se sent pas de force à la soutenir. Si l’initiative est venue de notre correspondant, nous lui rappellerons ce que nous n’avons cessé de répéter, que « le Spiritisme s’adresse à ceux qui ne croient pas ou qui doutent, et non à ceux qui ont une foi et à qui cette foi suffit ; qu’il ne dit à personne de renoncer à ses croyances pour adopter les nôtres, » et en cela il est conséquent avec les principes de tolérance et de liberté de conscience qu’il professe. Par ce motif, nous ne saurions approuver les tentatives faites par certaines personnes pour convertir à nos idées le clergé de quelque communion que ce soit. Nous répèterons donc à tous les Spirites : Accueillez avec empressement les hommes de bonne volonté ; donnez la lumière à ceux qui la cherchent, car avec ceux qui croient l’avoir vous ne réussirez pas ; ne faites violence à la foi de personne, pas plus du clergé que des laïques, car vous venez ensemencer les champs arides ; mettez la lumière en évidence, pour que ceux qui voudront la voir la regardent ; montrez les fruits de l’arbre, et donnez à manger à ceux qui ont faim, et non à ceux qui disent être rassasiés. Si des membres du clergé viennent à vous avec des intentions sincères et sans arrière-pensée, faites pour eux ce que vous faites pour vos autres frères : instruisez ceux qui le demanderont, mais ne cherchez point à amener de force ceux qui croiront leur conscience engagée à penser autrement que vous ; laissez-leur la foi qu’ils ont, comme vous demandez qu’ils vous laissent la vôtre ; montrez-leur enfin que vous savez pratiquer la charité selon Jésus. S’ils attaquent les premiers, c’est alors qu’on a le droit de réponse et de réfutation ; s’ils ouvrent la lice, il est permis de les suivre sans s’écarter toutefois de la modération dont Jésus a donné l’exemple à ses disciples ; si nos adversaires s’en écartent eux-mêmes, il faut leur laisser ce triste privilège qui n’est jamais une preuve de la véritable force. Si nous-même sommes entré depuis quelque temps dans la voie de la controverse, et si nous avons relevé le gant jeté par quelques membres du clergé, on nous rendra cette justice que notre polémique n’a jamais été agressive ; s’ils n’eussent attaqué les premiers, jamais leur nom n’eût été prononcé par nous. Nous avons toujours méprisé les injures et les personnalités dont nous avons été l’objet, mais il était de notre devoir de prendre la défense de nos frères attaqués et de notre doctrine indignement défigurée, puisqu’on a été jusqu’à dire en pleine chaire qu’elle prêchait l’adultère et le suicide. Nous l’avons dit et nous le répétons, cette provocation était maladroite, parce qu’elle amène forcément l’examen de certaines questions qu’il eût été d’une meilleure politique de laisser assoupies, car une fois le champ ouvert, on ne sait où il peut s’arrêter ; mais la peur est une mauvaise conseillère.
2. — Cela dit, nous allons essayer de donner à M. le curé cité plus haut la réponse à la question qu’il a proposée. Toutefois, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que si son interlocuteur n’était pas aussi fort que lui en théologie, lui-même ne nous paraît pas très fort sur l’Évangile. Sa question revient à celle qui fut posée à Jésus par les Sadducéens ( † ) ; il n’avait donc qu’à s’en référer à la réponse de Jésus, que nous prenons la liberté de lui rappeler, puisqu’il ne la sait pas.
« Ce jour-là, les Sadducéens, qui nient la résurrection, vinrent le trouver et lui proposèrent une question, en lui disant : « Maître, Moïse a ordonné que si quelqu’un mourrait sans enfants, son frère épousât sa femme, et suscitât des enfants à son frère mort. Or, il y avait parmi nous sept frères, dont le premier ayant épousé une femme, est mort ; et n’ayant point eu d’enfants, il a laissé sa femme à son frère. La même chose arriva au second, au troisième et à tous les autres jusqu’au septième. Enfin, cette femme est morte après eux tous. Lors donc que la résurrection arriva, duquel de ces sept sera-t-elle femme, puisqu’ils l’ont tous eue ?
« Jésus leur répondit : « Vous êtes dans l’erreur, ne comprenant pas les Écritures ni la puissance de Dieu ; car après la résurrection, les hommes n’auront point de femme, ni les femmes de mari ; mais ils seront comme LES ANGES DE DIEU DANS LE CIEL. Et pour ce qui est de la résurrection des morts, n’avez-vous point lu ces paroles que Dieu vous a dites : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? Or, Dieu n’est point le Dieu des morts, mais des vivants. » (Saint Matthieu, ch. XXII, v. de 23 à 32.)
Puisque après la résurrection les hommes seront comme les anges du ciel, et que les anges n’ont pas de corps charnel, mais un corps éthéré et fluidique, les hommes ne ressusciteront donc pas non plus en chair et en os. Si Jean-Baptiste a été Élie, ce n’est qu’une même âme ayant eu deux vêtements laissés à deux époques différentes sur la terre, et qui ne se présentera ni avec l’un ni avec l’autre, mais avec l’enveloppe éthérée propre au monde invisible. Si les paroles de Jésus ne vous semblent pas assez claires, lisez celles de saint Paul (que nous rapportons ci-après page 372), elles sont encore plus explicites. Doutez-vous que Jean-Baptiste ait été Élie ? Lisez saint Matthieu, ch. XI, v. 13, 14, 15 : « Car jusqu’à Jean, tous les prophètes, aussi bien que la loi, ont prophétisé ; et si vous voulez comprendre ce que je vous dis, c’est lui-même qui est cet Élie qui doit venir. Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre. » Ici il n’y a point d’équivoque ; les termes sont clairs et catégoriques, et pour ne pas entendre, il faut n’avoir pas d’oreilles, ou vouloir les fermer. Ces paroles étant une affirmation positive, de deux choses l’une : Jésus a dit vrai, ou il s’est trompé. Dans la première hypothèse, c’est la réincarnation attestée par lui ; dans la seconde, c’est le doute jeté sur tous ses enseignements, car s’il s’est trompé sur un point, il a pu se tromper sur les autres ; choisissez.
3. — Maintenant, monsieur le curé, permettez qu’à mon tour je vous adresse une question, à laquelle il vous sera sans doute facile de répondre.
Vous savez que la Genèse en assignant six jours pour la création, non-seulement de la terre, mais de l’univers entier : soleil, étoiles, lune, etc., avait compté sans la géologie et l’astronomie ; que Josué avait compté sans la loi de la gravitation universelle ; il me semble que le dogme de la résurrection de la chair a compté sans la chimie. Il est vrai que la chimie est une science diabolique, comme toutes celles qui font voir clair là où l’on voudrait que l’on vît trouble ; mais, quoiqu’il en soit de son origine, elle nous apprend une chose positive, c’est que le corps de l’homme, de même que toutes les substances organiques animales et végétales, est composé d’éléments divers dont les principes sont : l’oxygène, l’hydrogène, l’azote et le carbone. Elle nous apprend encore, – et notez que c’est un résultat d’expérience, – qu’à la mort ces éléments se dispersent et entrent dans la composition d’autres corps, si bien qu’au bout d’un temps donné le corps entier est absorbé. Il est encore constaté que le terrain où abondent les matières animales en décomposition sont les plus fertiles, et c’est au voisinage des cimetières que les mécréants attribuent la fécondité proverbiale des jardins de MM. les curés de campagne. Supposons donc, monsieur le curé, que des pommes de terre soient plantées aux alentours d’une fosse ; ces pommes de terre vont s’alimenter des gaz et des sels provenant de la décomposition du corps mort ; ces pommes de terre vont servir à engraisser des poules ; ces poules, vous les mangerez, vous les savourerez, de telle sorte que votre corps sera lui-même formé de molécules du corps de l’individu qui est mort, et qui n’en seront pas moins à lui, quoique ayant passé par des intermédiaires. Vous aurez donc en vous des parties ayant appartenu à un autre. Or, quand vous ressusciterez tous les deux au jour du jugement, chacun avec votre corps, comment ferez-vous ? Garderez-vous ce que vous avez à l’autre, ou l’autre vous reprendra-t-il ce qui lui appartient ; ou bien encore aurez-vous quelque chose de la pomme de terre ou de la poule ? Question au moins aussi grave que celle de savoir si Jean-Baptiste ressuscitera avec le corps de Jean ou celui d’Élie. Je la pose dans sa plus grande simplicité, mais jugez de l’embarras si, comme cela est certain, vous avez en vous des portions de cent individus. C’est là, à proprement parler, la résurrection de la chair ; mais tout autre est celle de l’Esprit, qui n’emporte point sa dépouille avec lui. Voyez, ci-après, ce que dit saint Paul.
4. — Puisque nous sommes en voie de questions, en voici une autre, monsieur le curé, que nous avons entendu faire par des incrédules ; elle est étrangère, il est vrai, au sujet qui nous occupe, mais elle est amenée par un des faits rapportés ci-dessus. Selon la Genèse, Dieu a créé le monde en six jours, et il s’est reposé le septième ( † ) ; c’est ce repos du septième jour qui est consacré par celui du dimanche, et dont la stricte observation est une loi canonique. Si donc, ainsi que le démontre la géologie, ces six jours, au lieu d’être de vingt-quatre heures, sont de quelques millions d’années, quelle sera la longueur du jour de repos ? Comme importance, cette question vaut bien les deux autres.
Ne croyez pas, monsieur le curé, que ces observations soient le résultat d’un mépris des saintes Écritures ; non, bien au contraire ; nous leur rendons peut-être un plus grand hommage que vous-même. Tenant compte de la forme allégorique, nous en cherchons l’esprit qui vivifie, nous y trouvons de grandes vérités, et par là nous amenons les incrédules à y croire et à les respecter ; tandis qu’en s’attachant à la lettre qui tue, on leur fait dire des choses absurdes et on augmente le nombre des sceptiques.
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