C’est la première fois que je viens m’entretenir avec vous, mes chers enfants ; j’aurais voulu choisir un médium plus sympathique aux sentiments qui ont été le mobile de toute ma vie terrestre et plus apte à me prêter un concours religieux ; mais puisque saint Augustin s’est depuis longtemps emparé du médium dont les matériaux cérébraux m’eussent été plus utiles, et vers lequel je me sentais porté, je m’adresse à vous par celui dont mon excellent condisciple Jobard [Jean-Baptiste-Ambroise-Marcellin Jobard] s’est servi pour me présenter au milieu de votre philosophique société. J’aurai donc beaucoup de peine à exprimer, aujourd’hui, ce que je veux vous dire : d’abord, en raison de la difficulté que j’éprouve à manipuler la matière médiane, n’ayant point encore l’habitude de cette propriété de mon être désincarné ; et ensuite de celle que j’ai à faire jaillir mes idées d’un cerveau qui ne les admet pas toutes. Cela dit, j’aborde mon sujet.
Un spirituel bossu de l’antiquité disait que les hommes de son temps portaient une double besace, dont la poche de derrière contenait leurs défauts et leurs imperfections, tandis que la poche de devant recevait tous les défauts d’autrui ; c’est ce que plus tard l’Évangile rappela par l’allégorie de la paille et de la poutre dans l’œil. Mon Dieu ! mes enfants, il serait bien temps que les sacs de la besace changeassent de place ; et il appartient aux Spirites sincères d’opérer cette modification en portant devant eux la poche qui contient leurs propres imperfections, afin que les ayant continuellement sous les yeux, ils arrivent à s’en corriger, et celle qui contient les défauts d’autrui de l’autre côté, afin de ne plus y attacher une volonté jalouse et railleuse. Ah ! comme il sera digne de la doctrine que vous confessez et qui doit régénérer l’humanité de voir ses adeptes sincères et convaincus agir avec cette charité qu’ils proclament et qui leur commande de ne plus s’apercevoir de la paille qui gêne la vue de leur frère, et de s’occuper au contraire avec ardeur à se débarrasser de la poutre qui les aveugle eux-mêmes. Hélas ! mes chers enfants, cette poutre est formée par le faisceau de vos tendances égoïstes, de vos mauvais penchants et de vos fautes accumulées pour lesquels jusqu’à présent vous avez, comme tous les hommes, professé une tolérance paternelle beaucoup trop grande pendant que la plupart du temps vous n’aviez qu’intolérance et sévérité pour les faiblesses de votre prochain. Je voudrais tellement vous voir tous délivrés de cette infirmité morale du reste des hommes, ô mes chers Spirites, que je vous convie de toutes mes forces à entrer dans la voie que je vous indique. Je sais bien que déjà beaucoup de vos côtés véniels se sont modifiés dans le sens de la vérité ; mais je vois encore tant de mollesse et tant d’indécision chez vous pour le bien absolu, que la distance qui vous sépare du troupeau des pécheurs endurcis et des matérialistes n’est pas si grande que le torrent ne puisse vous emporter encore. Ah ! il vous reste une rude étape à parcourir pour atteindre à la hauteur de la sainte et consolante doctrine que les Esprits mes frères vous révèlent déjà depuis plusieurs années.
Dans la vie militante dont, grâce en soit rendue au Seigneur, je viens de sortir, j’ai vu tant de mensonges s’affirmer comme des vérités, tant de vices s’afficher comme des vertus, que je suis heureux d’avoir quitté un milieu où presque toujours l’hypocrisie revêtait de son manteau les tristesses et les misères morales qui m’entouraient ; et je ne puis que vous féliciter de voir que vos rangs ne s’ouvrent pas facilement pour les séides de cette hypocrisie mensongère.
Mes amis, ne vous laissez jamais prendre aux paroles dorées ; voyez et sondez les actes avant d’ouvrir vos rangs à ceux qui sollicitent cet honneur, parce que beaucoup de faux frères chercheront à se mêler à vous afin d’apporter le trouble et de semer sourdement la division. Ma conscience me commande de vous éclairer, et je le fais dans toute la sincérité de mon cœur, sans me préoccuper de personne ; vous êtes avertis : agissez en conséquence désormais. Mais pour finir comme j’ai commencé, je vous prie en grâce, mes bien chers enfants, de vous occuper sérieusement de vous-mêmes, d’expulser de vos cœurs tous les germes impurs qui peuvent encore y être restés attachés, de vous réformer petit à petit, mais sans relâche, selon la saine morale spirite, et d’être enfin aussi sévères pour vous que vous devez être indulgents pour les faiblesses de vos frères.
Si cette première homélie laisse quelque chose à désirer par la forme,
ne vous en prenez qu’à mon inexpérience de la médianimité ; je ferai
mieux la première fois qu’il me sera permis de me communiquer dans votre
milieu où je remercie mon ami Jobard de m’avoir patronné. [v.
Carte
de visite de M. Jobard.] Adieu, mes enfants, je vous bénis.
François-Nicolas Madeleine.
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