Un de nos collègues de la Société spirite de Paris † nous communique la lettre suivante, qu’il a adressé aux directrices du pensionnat où est une de ses filles, à Paris :
« Mesdames,
« Je vous prie de me permettre quelques réflexions sur un discours prononcé à la distribution des prix de votre pensionnat ; ma qualité de père de famille et surtout celle de père d’une de vos élèves, me donne quelques droits à cette appréciation.
« L’auteur de ce discours, étranger à votre établissement, et professeur, m’a-t-on dit, au collège C…, s’est livré à un long persiflage, je ne sais vraiment à propos de quoi, sur la science spirite et les médiums. Qu’il eût émis son opinion sur ce sujet en toute autre circonstance, je le comprendrais ; mais devant un auditoire comme celui auquel il parlait, devant les jeunes personnes confiées à vos soins, permettez-moi de dire que cette question était déplacée, et que c’était mal choisir son thème pour chercher à faire de l’effet.
« Ce monsieur a dit entre autres choses que « tous les gens qui s’occupent d’expériences de tables et autres phénomènes dits spirites ou de l’ordre psychologique sont des jongleurs, des dupes ou des stupides. »
« Je suis, mesdames, du nombre de ceux qui s’en occupent et ne le cachent pas, et j’ai la certitude de n’avoir pas été le seul dans votre réunion. Je n’ai pas la prétention d’être savant, comme votre orateur, et à ce titre je suis peut-être stupide, à son point de vue ; toutefois l’expression est assez malséante quand on l’adresse à des personnes que l’on ne connaît pas, et qu’on généralise la pensée ; mais à coup sûr ma position et mon caractère me mettent à l’abri de l’épithète de jongleur. Ce monsieur paraît ignorer que cette stupidité compte aujourd’hui ses adeptes par millions dans le monde entier, et que ces prétendus jongleurs se trouvent jusque dans les rangs les plus élevés de la société, sans quoi il eût réfléchi que ses paroles pouvaient aller à l’adresse de plus d’un de ses auditeurs. S’il a prouvé, par cette sortie intempestive, un manque de tact et de savoir-vivre, il a également prouvé qu’il parlait d’une chose qu’il n’a jamais étudiée.
« Quant à moi, mesdames, depuis quatre ans, j’étudie, j’observe, et le résultat de mes observations a été de me convaincre, comme tant d’autres, que notre monde matériel peut, dans certaines circonstances, se mettre en rapport avec le monde spirituel. Les preuves de ce fait, j’en ai eu des milliers, partout, dans tous les pays que j’ai visités, et vous savez que j’en ai vu beaucoup, dans ma famille, avec ma femme qui est médium sans être une jongleuse, avec des parents, avec des amis qui, comme moi, cherchaient le vrai.
« Ne pensez pas, mesdames, que j’aie cru de prime-saut, sans examen ; non ; comme je l’ai dit, j’ai étudié et observé consciencieusement, froidement, avec calme et sans parti pris, et ce n’est qu’après mûres réflexions que j’ai eu le bonheur de me convaincre de la réalité de ces choses. Je dis le bonheur, car, je l’avouerai, l’enseignement religieux que j’avais reçu n’étant pas suffisant pour éclairer ma raison, j’étais devenu sceptique. Maintenant, grâce au Spiritisme, aux preuves patentes qu’il fournit, je ne le suis plus, parce que j’ai pu m’assurer de l’immortalité de l’âme et de ses conséquences. Si c’est là ce que ce monsieur appelle une stupidité, au moins devait-il s’abstenir de le dire devant vos élèves, qui pourront bien, et beaucoup plus tôt que vous ne le pensez peut-être, se rendre compte des phénomènes dont on leur a soulevé le voile. Il leur suffira, pour cela, d’entrer dans le monde ; la nouvelle science y fait de grands et rapides progrès, je vous l’assure. Alors n’est-il pas à craindre qu’elles fassent cette réflexion : Si l’on nous a induites en erreur sur ces matières ; si on a voulu nous cacher la vérité, ne se peut-il pas qu’on nous ait trompées sur d’autres points ? Dans le doute, la plus vulgaire prudence commandait de s’abstenir ; dans tous les cas, ce n’était ni le lieu ni le moment de traiter un pareil sujet.
« J’ai cru devoir, mesdames, vous faire part de mes impressions ; veuillez, je vous prie, les accueillir avec votre bonté habituelle.
« Agréez, etc.
« A. Gassier,
« 38, rue de la Chaussée-d’Antin. » †
Remarque. — Le Spiritisme se répandant partout, il devient très rare qu’une assemblée quelconque ne renferme pas plus ou moins d’adeptes. Se livrer à des sorties virulentes contre une opinion qui grandit sans cesse ; se servir à ce propos d’expressions blessantes devant un auditoire qu’on ne connaît pas, c’est s’exposer à molester les gens les plus respectables, et quelquefois à se voir rappeler à l’ordre ; le faire dans une réunion qui, par sa nature, commande plus que toute autre la stricte observation des convenances, où toute parole doit être un enseignement, c’est une faute. Qu’une de ces jeunes personnes dont les parents s’occupent de Spiritisme aille leur dire : « Vous êtes des jongleurs, des dupes ou des stupides, » ne pourrait-elle pas s’excuser en disant : « C’est ce qu’on m’a appris à la distribution des prix ? » Ce monsieur aurait-il fait une sortie semblable contre les protestants ou les juifs, en disant que ce sont tous des hérétiques et des damnés ; contre telle ou telle opinion politique ? Non, parce qu’il est peu de pensionnats où il n’y ait des élèves dont les parents professent différentes opinions politiques ou religieuses, et l’on craindrait de froisser ces derniers. Eh bien ! qu’il sache qu’il y a aujourd’hui, en France seulement, autant de Spirites qu’il y a de juifs et de protestants, et qu’avant qu’il soit longtemps, il y en aura autant qu’il y a de catholiques.
Au reste, là, comme partout, l’effet ira droit contre l’intention. Voilà une foule de jeunes filles naturellement curieuses, dont beaucoup n’ont jamais entendu du parler de ces choses-là, et qui voudront savoir ce que c’est à la première occasion ; elles essayeront de la médiumnité, et infailliblement plus d’une réussira ; elles en parleront à leurs compagnes, et, ainsi de suite. Vous leur défendrez de s’en occuper ; vous les effrayerez par l’idée du diable ; mais ce sera une raison de plus pour qu’elles le fassent en cachette, car elles voudront savoir ce que le diable leur dira. N’entendent-elles pas tous les jours parler de bons diables, de diables couleur de rose ? Or, là est le vrai danger, car, manquant d’expérience et sans guide prudent et éclairé ; elles pourraient se trouver sous une influence pernicieuse dont elles ne sauraient se débarrasser, et d’où peuvent résulter des inconvénients d’autant plus graves que, par suite de la défense qui leur aura été faite, et par crainte d’une punition, elles n’oseront rien dire. Vous leur défendrez d’écrire ? Ce n’est pas toujours facile ; les maîtres de pension en savent quelque chose ; mais que ferez-vous de celles qui deviendront médiums voyants ou auditifs ? Leur boucherez-vous les yeux et les oreilles ? Voilà, monsieur l’orateur, ce que peut produire votre imprudent discours, dont probablement vous avez été très satisfait.
Le résultat est tout autre chez les enfants élevés par leurs parents dans ces idées-là ; d’abord ils n’ont rien à cacher, et sont ainsi préservés des dangers de l’inexpérience ; puis cela leur donne de bonne heure une piété raisonnée que l’âge fortifie et ne peut affaiblir ; ils deviennent plus dociles, plus soumis, plus respectueux ; la certitude qu’ils ont de la présence de leurs parents défunts, qui les voient sans cesse, avec lesquels ils peuvent s’entretenir et dont ils reçoivent de sages avis, est pour eux un frein puissant par la crainte salutaire qu’elle leur inspire. Quand la génération sera élevée dans les croyances spirites, on verra la jeunesse tout autre, plus studieuse et moins turbulente. On peut en juger déjà par l’effet que ces idées produisent sur les jeunes gens qui en sont pénétrés.
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