Quoique rimé, je crois qu’il n’en est pas moins bon, Entendons-nous, En lui ce que je vante
N’est pas la rime : elle est méchante ; C’est l’esprit qui… Diable soit du jargon !
L’esprit n’est pas non plus ce dont je me soucie ;
Comprends bien s’il se peut : L’Esprit seul vivifie, C’est ainsi que je prends le mot.
Moi qui n’en suis pas un, mais qui vais bientôt l’être,
Je l’espère, du moins, — je voudrais comparaître, Non pas tout à fait comme un sot,
Mais comme un pauvre Esprit, humble en ma repentance,
Mettant en mon Seigneur toute mon espérance,
Et comptant, pour atteindre au séjour des élus,
Beaucoup sur sa bonté, très-peu sur mes vertus !
Expliquons-nous encor, car toujours j’équivoque ;
C’est la bonté de Dieu que seule ici j’invoque ;
Donc, pour reprendre mon sujet, Avant d’aller entendre le décret
Qui m’accable ou me justifie, Je veux régler, du mieux que je pourrai, Tout compte arriéré dans ma vie.
Il en est quelques-uns que tout bas j’avouerai
Me tenir fort au cœur. Or, voyons comment faire
Pour arranger le tout du mieux qu’il se pourra.
Ce n’est pas, entre nous une petite affaire !
Primo, quand mon Esprit de son corps s’en ira,
Je réclame de vous une bonne prière Pouvant servir de passe-port
Au pauvre mort Qui rend sa poussière à la terre. Ceci fait, c’est de mon convoi Qu’il faut s’occuper, et je gage Que, sans trop vous mettre en émoi, Ce sera le convoi du sage.
D’abord, de mon vivant, je fus toujours blessé
De voir sur les tombeaux tant de luxe entassé,
Alors que nous rendons à la masse d’argile Le peu dont nous fûmes formés.
Pourquoi nous occuper d’une gloire futile ?
Beaucoup se sont perdus pour s’être trop vantés !
La prière de Dieu provoque la clémence ;
Nous le croyons ; telle est aussi mon espérance.
Mais pourquoi prier plus pour ceux-ci que ceux-là ?
A quoi sert l’attirail déployé pour cela ?
Pourquoi le malheureux qui meurt dans la misère
N’a-t-il pas, comme moi, ce concours de prière ?
Pourquoi donc étaler ce faste si coûteux,
Qui fait naître l’envie alors que l’on y songe ?
Est-ce pour tromper l’homme ou pour gagner les cieux ?
Si c’est pour le tromper, anathème au mensonge !
Si c’est pour attirer les grâces du Seigneur,
Priez d’abord pour ceux qui, privés du bonheur Que nous procurent les richesses,
Ayant beaucoup souffert, ont droit à des largesses Qui ne vous coûtent pas un sou !
Or, écoutez-moi bien ; dût-on traiter de fou
Mon pauvre Esprit quittant la terre,
Il veut monter à Dieu, bercé par la prière
Qui sort du cœur,
La seule, croyez-moi, qu’écoute le Seigneur.
Portez-moi donc sans frais, sans bruit, sans étalage ; Et, contrairement à l’usage, Que vos regards soient rayonnants ! Qu’au lieu de larmes dans vos chants Retentisse un air d’allégresse ! Au doute laissez la tristesse. Dieu merci ! nous sommes croyants !
Ne pensez pas, enfants, que c’est l’économie Qui m’engage à parler ainsi ! De l’argent j’eus peu de souci
Pendant ma vie, Jugez après ma mort ! Je veux rendre du sort La balance un peu plus égale, Et de ce luxe qu’on étale Pour dorer la fange du corps,
Envers les malheureux réparer quelques torts.
Je veux que de ce drap dont la mort se recouvre, Les ornements soient retranchés.
Par une même main tous nos jours sont fauchés.
C’est la porte du Ciel et non celle du Louvre Qu’à saint Pierre mon repentir Humblement demande d’ouvrir.
Que d’une croix de bois la muette éloquence
Du Seigneur offensé détourne la vengeance.
Que mon âme remonte en sa simplicité,
Et que cet or perdu couvre la nudité
De l’enfant, du vieillard, mes frères dans la vie,
Mes égaux à la mort, peut-être bien aux cieux, Ceux qu’à genoux chacun supplie, Ceux que nous nommons bienheureux !
Avant de terminer, un conseil salutaire Peut bien trouver sa place ici :
Que de la charité le flambeau vous éclaire ;
Du jugement des sots prenez peu de souci.
De ce luxe trompeur que l’orgueilleux étale
Méfiez-vous toujours. Pour le cœur rien n’égale Le bonheur du devoir rempli. De l’opprimé soutenez la faiblesse ;
Que votre âme réponde à tout cri de détresse ;
Qu’il y trouve un écho prêt à le répéter.
Que votre main, enfants, soit prompte à soulager.
A l’aide du peu d’or qu’entre vous je partage,
Amassez des trésors pour faire ce voyage
Dont l’Esprit vertueux, enfin, ne revient plus ! Semez force bienfaits, récoltez des vertus. Demandez au Seigneur ses plus vives lumières ; Parmi les malheureux allez chercher vos frères, Et que Dieu vous accorde, en sa grande bonté, De n’avoir d’autre loi qu’Amour et Charité !…
[Anonyme.] |