Si Lyon † a fait ce qu’on pourrait appeler son pronunciamento en fait de Spiritisme, Bordeaux † n’est pas resté en arrière, car il veut, lui aussi, prendre rang un des premiers dans la grande famille ; on en jugera par le compte rendu que nous donnons de la visite que nous venons de faire aux Spirites de cette ville sur leur invitation. Ce n’est pas en quelques années, c’est en quelques mois que la doctrine y a pris des proportions imposantes dans toutes les classes de la société. Constatons tout d’abord un fait capital, c’est que là, comme à Lyon et comme dans beaucoup d’autres villes que nous avons visitées, nous avons vu la doctrine envisagée au point de vue le plus sérieux, et dans ses applications morales ; là, comme ailleurs, nous avons vu d’innombrables transformations, de véritables métamorphoses ; des caractères qui ne sont plus reconnaissables ; des gens qui ne croyaient plus à rien, ramenés aux idées religieuses par la certitude de l’avenir, maintenant palpable pour eux. Cela donne la mesure de l’esprit qui règne dans les réunions Spirites, déjà très multipliées ; dans toutes celles où nous avons assisté, nous y avons vu le recueillement le plus édifiant, un air de bienveillance mutuelle entre les assistants ; on se sent dans un milieu sympathique qui inspire la confiance.
Les ouvriers de Bordeaux ne sont pas en reste avec ceux de Lyon ; ils y comptent de nombreux et fervents adeptes dont le nombre augmente tous les jours. Nous sommes heureux de dire que nous sommes sorti de leurs réunions édifié du sentiment pieux qui y préside, autant que du tact avec lequel ils savent se tenir en garde contre l’intrusion des Esprits trompeurs.
Un fait que nous aimons à constater, c’est que souvent des hommes dans une position sociale éminente se mêlent aux groupes plébéiens avec la plus cordiale fraternité, en laissant leurs titres à la porte, de même que de simples travailleurs sont accueillis avec une égale bienveillance dans les groupes d’un autre ordre. Partout le riche et l’artisan se serrent cordialement la main ; on nous a dit que ce rapprochement des deux extrémités de l’échelle sociale est dans les mœurs du pays, et nous l’en félicitons ; mais le Spiritisme est venu, on le reconnaît, donner à cet état de choses une raison d’être et une sanction morale, en montrant en quoi consiste la véritable fraternité.
Nous avons trouvé à Bordeaux de très nombreux et de très bons médiums de tous rangs, de tous sexes et de tous âges. Beaucoup écrivent avec une grande facilité, et obtiennent des communications d’une haute portée, ce dont les Esprits, du reste, nous avaient prévenu avant notre départ. On ne peut que les louer en outre de l’empressement avec lequel ils prêtent leur concours dans les réunions ; mais ce qui vaut mieux encore, c’est l’abnégation de tout amour-propre, à l’endroit des communications ; nul ne se croit privilégié et l’interprète exclusif de la vérité ; nul ne cherche à s’imposer ni à imposer les Esprits qui l’assistent ; tous soumettent avec simplicité ce qu’ils obtiennent au jugement de l’assemblée, et nul ne s’offense, ni ne se blesse des critiques ; celui qui obtient de fausses communications s’en console en profitant des bonnes que d’autres obtiennent, et dont ils ne sont point jaloux. En est-il de même partout ? Nous l’ignorons ; nous constatons ce que nous avons vu ; nous constatons aussi que l’on est pénétré de ce principe que tout médium orgueilleux, jaloux et susceptible ne peut être assisté par de bons Esprits, et que ce travers, chez lui, est un motif de suspicion. Loin donc de rechercher ces médiums, s’il s’en rencontrait, malgré l’éminence de leur faculté, ils seraient repoussés de tous les groupes sérieux, qui veulent avant tout avoir des communications sérieuses, et non viser à l’effet.
Parmi les médiums que nous avons vus, il en est un qui mérite une mention spéciale ; c’est une jeune personne de dix-neuf ans qui, à la faculté de médium écrivain, joint celle de médium dessinateur et de médium musicien. Elle a noté mécaniquement, sous la dictée d’un Esprit qui a dit être Mozart, un morceau de musique que celui-ci ne désavouerait pas. Il l’a signé, et plusieurs personnes qui ont vu de ses autographes ont affirmé la parfaite identité de la signature. Mais le travail le plus remarquable est sans contredit le dessin ; c’est un tableau planétaire de quatre mètres carrés superficiels, d’un effet si original et si singulier qu’il nous serait impossible d’en donner une idée par la description. Il est travaillé au crayon noir, au pastel de diverses couleurs et à l’estompe. Ce tableau, commencé il y a quelques mois, n’est pas encore tout à fait terminé ; il est destiné par l’Esprit à la Société Spirite de Paris. Nous avons vu le médium à l’œuvre, et nous avons été émerveillé de la rapidité autant que de la précision du travail. Au début, et pour la mise en train, l’Esprit lui a fait tracer à main levée et d’un seul jet des cercles et des spirales de près d’un mètre de diamètre, d’une telle régularité, qu’on en a trouvé le centre géométrique parfaitement exact. Nous ne pouvons encore rien dire sur la valeur scientifique de ce tableau ; mais en admettant que ce soit une fantaisie, ce n’en est pas moins, comme exécution médiumnique, un travail très remarquable. L’original devant être envoyé Paris, † l’Esprit a conseillé de le faire photographier pour en avoir plusieurs copies.
Un fait que nous devons mentionner, c’est que le père du médium est peintre ; en sa qualité d’artiste, il trouvait que l’Esprit s’y prenait contrairement aux règles de l’art, et prétendait donner des conseils ; aussi l’Esprit lui a-t-il interdit d’assister au travail, afin que le médium ne subît pas son influence.
Il y a peu de temps encore le médium n’avait point lu nos ouvrages ; l’Esprit lui a dicté, pour nous être remis à notre arrivée qui n’était point encore annoncée, un petit traité de Spiritisme de tous points conforme au Livre des Esprits.
Rendre compte des témoignages de sympathie que nous avons reçus, des attentions et des prévenances dont nous avons été l’objet, serait trop présomptueux de notre part ; il y aurait eu certes de quoi enflammer notre orgueil si nous n’avions songé que c’était un hommage rendu à la doctrine bien plus qu’à notre personne. Par le même motif nous avions hésité à publier quelques-uns des discours qui ont été prononcés et dont nous sommes vraiment confus. Ayant soumis nos scrupules à quelques amis et à plusieurs membres de la Société, il nous a été dit que ces discours étaient un indice de l’état de la doctrine, et qu’à ce point de vue il était instructif pour tous les Spirites de les connaître ; que, d’un autre côté, ces paroles étant l’expression d’un sentiment sincère, ceux qui les ont prononcées verraient probablement avec peine que, par un excès de modestie, nous nous abstinssions de les reproduire ; ils pourraient y voir de l’indifférence de notre part. Cette dernière considération surtout nous a déterminé ; nous espérons que nos lecteurs nous jugent assez bon Spirite pour ne pas mentir aux principes que nous professons, en faisant de cette relation une question d’amour-propre.
Puisque nous rapportons ces divers discours, nous n’avons garde d’omettre, comme trait caractéristique, la petite allocution qui nous fut récitée avec une grâce charmante et un naïf empressement par un tout jeune enfant de cinq ans et demi, le fils de M. Sabô, à notre arrivée dans cette famille vraiment patriarcale, et sur laquelle le Spiritisme a versé à pleines mains ses bienfaisantes consolations. Si toute la génération qui s’élève était imbue de tels sentiments, il serait permis d’entrevoir comme très prochain le changement qui doit s’opérer dans les mœurs sociales, changement qui est annoncé de tous côtés par les Esprits. Ne croyez pas que cet enfant ait débité sa petite harangue comme un perroquet ; non, il en a très bien saisi le sens ; le Spiritisme, dont il est pour ainsi dire bercé, est déjà, pour sa jeune intelligence, un frein qu’il comprend parfaitement, et que sa raison, en se développant, ne repoussera pas.
Voici le petit discours de notre jeune ami, Joseph Sabô, qui serait bien fâché de ne pas le voir imprimé : « Monsieur Allan Kardec, permettez au plus jeune de vos enfants Spirites de venir en ce jour, à jamais gravé dans nos cœurs, vous exprimer la joie que cause votre arrivée parmi nous. Je suis encore à l’âge de l’enfance ; mais mon père m’a déjà appris ce que sont les Esprits qui se manifestent à nous, la docilité avec laquelle nous devons suivre leurs conseils, les peines et les récompenses qui leur sont accordées ; et dans quelques années, si Dieu le juge à propos, je veux aussi, sous vos auspices, devenir un digne et fervent apôtre du Spiritisme, toujours soumis à votre savoir et à votre expérience. M’accorderez-vous, en retour de ces quelques mots dictés par mon petit cœur, un baiser que je n’ose vous demander ? »
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