Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année IV — Décembre 1861.

(Langue portugaise)

DU SURNATUREL.

Par M. Guizot.

1. — Nous extrayons du nouvel ouvrage de M. Guizot : L’église et la société chrétiennes en 1861 – Google Booksn le remarquable chapitre sur le Surnaturel. Ce n’est pas, comme on pourrait le croire, un plaidoyer pour ou contre le Spiritisme, car il n’y est nullement question de la nouvelle doctrine ; mais comme aux yeux de beaucoup de personnes le Spiritisme est inséparable du surnaturel, qui selon les uns est une superstition, et selon d’autres une vérité, il est intéressant de connaître sur cette question l’opinion d’un homme de la valeur de M. Guizot. Il y a dans ce travail des observations d’une incontestable justesse, mais, selon nous, il y a aussi de grandes erreurs qui tiennent au point de vue où se place l’auteur.

Nous en ferons un examen approfondi dans notre prochain numéro. [En séquence.]


2. —   Toutes les attaques dont le Christianisme est aujourd’hui l’objet, quelque diverses qu’elles soient dans leur nature et dans leur mesure, partent d’un même point et tendent à un même but, la négation du surnaturel dans les destinées de l’homme et du monde, l’abolition de l’élément surnaturel dans la religion chrétienne, comme dans toute religion, dans son histoire comme dans ses dogmes.

« Matérialistes, panthéistes, rationalistes, sceptiques, critiques, érudits, les uns hautement, les autres discrètement, tous pensent et parlent sous l’empire de cette idée que le monde et l’homme, la nature morale comme la nature physique, sont uniquement gouvernés par des lois générales, permanentes et nécessaires, dont aucune volonté spéciale n’est jamais venue et ne vient jamais suspendre ou modifier le cours.

« Je ne songe pas à discuter pleinement ici cette question, qui est la question fondamentale de toute religion ; je ne veux que soumettre aux adversaires déclarés ou voilés du surnaturel deux observations ou, pour parler plus exactement, deux faits qui, selon moi, la décident.

« C’est sur une foi naturelle au surnaturel, sur un instinct inné du surnaturel, que toute religion se fonde. Je ne dis pas toute idée religieuse, mais toute religion positive, pratique, puissante, durable, populaire. Dans tous les lieux, sous tous les climats, à toutes les époques de l’histoire, à tous les degrés de la civilisation, l’homme porte en lui ce sentiment, j’aimerais mieux dire ce pressentiment, que le monde qu’il voit, l’ordre au sein duquel il vit, les faits qui se succèdent régulièrement et constamment autour de lui ne sont pas tout. En vain il fait chaque jour, dans ce vaste ensemble, des découvertes et des conquêtes ; en vain il observe et constate savamment les lois permanentes qui y président : sa pensée ne s’enferme point dans cet univers livré à sa science ; ce spectacle ne suffit point à son âme ; elle s’élance ailleurs ; elle cherche, elle entrevoit autre chose ; elle aspire pour l’univers et pour elle-même à d’autres destinés, à un autre maître : Par delà tous ces cieux le Dieu des cieux réside, a dit Voltaire, et le Dieu qui est par delà tous les cieux, ce n’est pas la nature personnifiée, c’est le surnaturel en personne. C’est à lui que les religions s’adressent ; c’est pour mettre l’homme en rapport avec lui qu’elles se fondent. Sans la foi instinctive des hommes au surnaturel, sans leur élan spontané et invincible vers le surnaturel, la religion ne serait pas.

« Seul entre tous les êtres ici-bas, l’homme prie. Parmi ses instincts moraux, il n’y en a point de plus naturel, de plus universel, de plus invincible que la prière. L’enfant s’y porte avec une docilité empressée. Le vieillard s’y replie comme dans un refuge contre la décadence et l’isolement. La prière monte d’elle-même sur les jeunes lèvres qui balbutient à peine le nom de Dieu et sur les lèvres mourantes qui n’ont plus la force de le prononcer. Chez tous les peuples, célèbres ou obscurs, civilisés ou barbares, on rencontre à chaque pas des actes et des formules d’invocation. Partout où vivent des hommes, dans certaines circonstances, à certaines heures, sous l’empire de certaines impressions de l’âme, les yeux s’élèvent, les mains se joignent, les genoux fléchissent pour implorer ou pour rendre grâces, pour adorer ou pour apaiser. Avec transport ou avec tremblement, publiquement ou dans le secret de son cœur, c’est à la prière que l’homme s’adresse, en dernier recours, pour combler les vides de son âme ou porter les fardeaux de sa destinée ; c’est dans la prière qu’il cherche, quand tout lui manque, de l’appui pour sa faiblesse, de la consolation dans ses douleurs, de l’espérance pour sa vertu.

« Personne ne méconnaît la valeur morale et intérieure de la prière, indépendamment de son efficacité quant à son objet. Par cela seul qu’elle prie, l’âme se soulage, se relève, s’apaise, se fortifie ; elle éprouve, en se tournant vers Dieu, ce sentiment de retour à la santé et au repos qui se répand dans le corps quand il passe d’un air orageux et lourd dans une atmosphère sereine et pure. Dieu vient en aide à ceux qui l’implorent, avant et sans qu’ils sachent s’il les exaucera.

« Les exaucera-t-il ? Quelle est l’efficacité extérieure et définitive de la prière ? Ici est le mystère, l’impénétrable mystère des desseins et de l’action de Dieu sur chacun de nous. Ce que nous savons, c’est que, soit qu’il s’agisse de notre vie extérieure ou intérieure, ce n’est pas nous seuls qui en disposons selon notre pensée et notre volonté propres. Tous les noms que nous donnons à cette part de notre destinée qui ne vient pas de nous-mêmes, hasard, fortune, étoile, nature, fatalité, sont autant de voiles jetés sur notre impiété ignorante. Quand nous parlons ainsi, nous refusons de voir Dieu où il est. Au-delà de l’étroite sphère où sont renfermées la puissance et l’action de l’homme, c’est Dieu qui règne et qui agit. Il y a, dans l’acte naturel et universel de la prière, une foi naturelle et universelle dans cette action permanente, et toujours libre, de Dieu sur l’homme et sur sa destinée : «  Nous sommes ouvriers avec Dieu, » ( † ) dit saint Paul : ouvriers avec Dieu, et dans l’œuvre des destinées générales de l’humanité, et dans celle de notre propre destinée, présente et future. C’est là ce que nous fait entrevoir la prière sur le lien qui unit l’homme à Dieu ; mais là s’arrête pour nous la lumière : « Les voies de Dieu ne sont pas nos voies ; » nous y marchons sans les connaître ; croire sans voir et prier sans prévoir, c’est la condition que Dieu a faite à l’homme en ce monde, pour tout ce qui en dépasse les limites. C’est dans la conscience et l’acceptation de cet ordre surnaturel que consistent la foi et la vie religieuses.

« Ainsi M. Edmond Scherer  †  a raison quand il doute que « le rationalisme chrétien soit et puisse jamais être une religion. » Et pourquoi M. Jules Simon,  †  qui s’incline devant Dieu avec un respect si sincère, a-t-il intitulé son livre : la Religion naturelle ? Il aurait dû l’appeler Philosophie religieuse. La philosophie poursuit et atteint quelques-unes des grandes idées sur lesquelles la religion se fonde ; mais, par la nature de ses procédés et les limites de son domaine, elle n’a jamais fondé et ne saurait fonder une religion. A parler exactement, il n’y a point de religion naturelle, car dès que vous abolissez le surnaturel, la religion aussi disparaît.

« Que cette foi instinctive au surnaturel, source de la religion, puisse être et soit aussi la source d’une infinité d’erreurs et de superstitions, source à leur tour d’une infinité de maux, qui songe à le nier ? Ici, comme partout, c’est la condition de l’homme que le bien et le mal se mêlent incessamment dans ses destinées et dans ses œuvres comme en lui-même ; mais de cet incurable mélange il ne s’ensuit pas que nos grands instincts n’aient point de sens et ne fassent que nous égarer quand ils nous élèvent. Quels que puissent être, en y aspirant, nos égarements, il reste certain que le surnaturel est dans la foi naturelle de l’homme, et qu’il est la condition sine quâ non, le véritable objet, l’essence même de la religion.

« Voici un second fait qui mérite, je crois, toute l’attention des adversaires du surnaturel.

« Il est reconnu et constaté par la science que notre globe n’a pas toujours été dans l’état où il est aujourd’hui, qu’à des époques diverses et indéterminées il a subi des révolutions, des transformations qui en ont changé la face, le régime physique, la population ; que l’homme en particulier n’y a pas toujours existé, et que, dans plusieurs des états successifs par lesquels ce monde a passé, l’homme n’aurait pu y exister.

« Comment y est-il venu ? De quelle façon et par quelle puissance le genre humain a-t-il commencé sur la terre ?

« Il ne peut y avoir, de son origine, que deux explications : ou bien il a été le produit du travail propre et intime des forces naturelles de la matière, ou bien il a été l’œuvre d’un pouvoir surnaturel, extérieur et supérieur à la matière. La génération spontanée ou la création, il faut, à l’apparition de l’homme ici-bas, l’une ou l’autre de ces causes.

« Mais en admettant, ce que pour mon compte je n’admets nullement, les générations spontanées, ce mode de production ne pourrait, n’aurait jamais pu produire que des êtres enfants, à la première heure et dans le premier état de la vie naissante. Personne, je crois, n’a jamais dit et personne ne dira jamais que, par la vertu d’une génération spontanée, l’homme, c’est-à-dire l’homme et la femme, le couple humain, ont pu sortir et qu’ils sont sortis un jour du sein de la matière tout formés et tout grands, en pleine possession de leur taille, de leur force, de toutes leurs facultés, comme le paganisme grec a fait sortir Minerve  †  du cerveau de Jupiter.  † 

« C’est pourtant à cette condition seulement qu’en apparaissant pour la première fois sur la terre l’homme aurait pu y vivre, s’y perpétuer et y fonder le genre humain. Se figure-t-on le premier homme naissant à l’état de la première enfance, vivant, mais inerte, inintelligent, impuissant, incapable de se suffire un moment à lui-même, tremblotant et gémissant, sans mère pour l’entendre et pour le nourrir ! C’est pourtant là le seul premier homme que le système de la génération spontanée puisse donner.

« Évidemment l’autre origine du genre humain est seule admissible, seule possible. Le fait surnaturel de la création explique seul la première apparition de l’homme ici-bas.

« Ceux-là donc qui nient et abolissent le surnaturel abolissent du même coup toute religion réelle ; et c’est en vain qu’ils triomphent du surnaturel si souvent introduit à tort dans notre monde et dans notre histoire ; ils sont contraints de s’arrêter devant le berceau surnaturel de l’humanité, impuissants à en faire sortir l’homme sans la main de Dieu. »

Guizot.


3. DU SURNATUREL.

Par M. Guizot.
(2º article. — Voir le numéro de décembre 1861.)
[Revue de janvier 1862.]

Nous avons publié, dans notre dernier numéro, l’éloquent et remarquable chapitre de M. Guizot sur le Surnaturel, et au sujet duquel nous nous sommes proposé de faire quelques remarques critiques qui n’ôtent rien de notre admiration pour l’illustre et savant écrivain.

M. Guizot croit au surnaturel ; sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, il importe de bien s’entendre sur les mots. Dans son acception propre, surnaturel signifie ce qui est au-dessus de la nature, en dehors des lois de la nature. Le surnaturel, proprement dit, n’est donc point soumis à des lois ; c’est une exception, une dérogation aux lois qui régissent la création ; en un mot, il est synonyme de miracle. Du sens propre, ces deux mots ont passé dans le langage figuré, où l’on s’en sert pour désigner tout ce qui est extraordinaire, surprenant, insolite ; on dit d’une chose qui étonne qu’elle est miraculeuse, comme on dit d’une grande étendue qu’elle est incommensurable, d’un grand nombre qu’il est incalculable, d’une longue durée qu’elle est éternelle, quoique, à la rigueur, on puisse mesurer l’une, calculer l’autre, et prévoir un terme à la dernière. Par la même raison, on qualifie de surnaturel ce qui, au premier abord, semble sortir des limites du possible. Le vulgaire ignorant est surtout très porté à prendre ce mot à la lettre pour ce qu’il ne comprend pas. Si l’on entend par là ce qui s’écarte des causes connues, nous le voulons bien, mais alors ce mot n’a plus de sens précis, car ce qui était surnaturel hier ne l’est plus aujourd’hui. Que de choses, considérées jadis comme telles, la science n’a-t-elle pas fait rentrer dans le domaine des lois naturelles ! Quelques progrès que nous ayans faits, pouvons-nous nous flatter de connaître tous les secrets de Dieu ? La nature nous a-t-elle dit son dernier mot sur toutes choses ? Chaque jour ne vient-il pas donner un démenti à cette orgueilleuse prétention ? Si donc ce qui était surnaturel hier ne l’est plus aujourd’hui, on peut logiquement en inférer que ce qui est surnaturel aujourd’hui peut ne plus l’être demain. Pour nous, nous prenons le mot surnaturel dans son sens propre le plus absolu, c’est-à-dire pour désigner tout phénomène contraire aux lois de la nature. Le caractère du fait surnaturel ou miraculeux est d’être exceptionnel ; dès lors qu’il se reproduit, c’est qu’il est soumis à une loi connue ou inconnue, et il rentre dans l’ordre général.

Si l’on restreint la nature au monde matériel, visible, il est évident que les choses du monde invisible seront surnaturelles ; mais le monde invisible étant lui-même soumis à des lois, nous croyons plus logique de définir la nature : L’ensemble des œuvres de la création régies par les lois immuables de la Divinité. Si, comme le démontre le Spiritisme, le monde invisible est une des forces, une des puissances réagissant sur la matière, il joue un rôle important dans la nature, c’est pourquoi les phénomènes spirites ne sont pour nous ni surnaturels, ni merveilleux, ni miraculeux ; d’où l’on voit que le Spiritisme, loin d’étendre le cercle du merveilleux, tend à le restreindre et même à le faire disparaître.

M. Guizot, avons-nous dit, croit au surnaturel, mais dans le sens miraculeux, ce qui n’implique nullement la croyance aux Esprits et à leurs manifestations ; or, de ce que, pour nous, les phénomènes spirites n’ont rien d’anomal, il ne s’ensuit pas que Dieu n’ait pu, dans certains cas, déroger à ses lois, puisqu’il a la toute-puissance. L’a-t-il fait ? Ce n’est pas ici le lieu de l’examiner ; il faudrait pour cela discuter, non le principe, mais chaque fait isolément ; or, nous plaçant au point de vue de M. Guizot, c’est-à-dire de la réalité des faits miraculeux, nous allons essayer de combattre la conséquence qu’il en tire, savoir que : la religion n’est pas possible sans surnaturel, et prouver au contraire que de son système découle l’anéantissement de la religion.

M. Guizot part de ce principe que toutes les religions sont fondées sur le surnaturel. Cela est vrai si l’on entend par là ce qui n’est pas compris ; mais si l’on remonte à l’état des connaissances humaines à l’époque de la fondation de toutes les religions connues, on sait combien était alors borné le savoir des hommes en astronomie, en physique, en chimie, en géologie, en physiologie, etc. ; si, dans les temps modernes, bon nombre de phénomènes aujourd’hui parfaitement connus et expliqués ; ont passé pour merveilleux, à plus forte raison devait-il en être ainsi dans les temps reculés. Ajoutons que le langage figuré, symbolique et allégorique en usage chez tous les peuples de l’Orient, se prêtait naturellement aux fictions, dont l’ignorance ne permettait pas de découvrir le véritable sens ; ajoutons encore que les fondateurs des religions, hommes supérieurs au vulgaire, et sachant plus que lui, ont dû, pour impressionner les masses, s’entourer d’un prestige surhumain, et que certains ambitieux ont pu exploiter la crédulité : voyez Numa ; voyez Mahomet et tant d’autres. Ce sont des imposteurs, direz-vous. Soit ; prenons les religions issues de la loi mosaïque ; toutes adoptent la création selon la Genèse ; or, y a-t-il en effet quelque chose de plus surnaturel que cette formation de la terre, tirée du néant, débrouillée du chaos, peuplée de tous les êtres vivants, hommes, animaux et plantes, tout formés et adultes, et cela en six fois vingt-quatre heures, comme par un coup de baguette magique ? N’est-ce pas la dérogation la plus formelle aux lois qui régissent la matière et la progression des êtres ? Certes, Dieu pouvait le faire ; mais l’a-t-il fait ? Il y a peu d’années encore, on l’affirmait comme un article de foi, et voici que la science replace le fait immense de l’origine du monde dans l’ordre des faits naturels, en prouvant que tout s’est accompli selon les lois éternelles. La religion a-t-elle souffert de n’avoir plus pour base un fait merveilleux par excellence ? Elle eût incontestablement beaucoup souffert dans son crédit, si elle se fût obstinée à nier l’évidence, tandis qu’elle a gagné en rentrant dans le droit commun.

Un fait beaucoup moins important, malgré les persécutions dont il a été la source, c’est celui de Josué arrêtant le soleil ( † ) pour prolonger le jour de deux heures. Que ce soit le soleil ou la terre qui ait été arrêtée, le fait n’en est pas moins tout ce qu’il y a de plus surnaturel ; c’est une dérogation à une des lois les plus capitales, celle de la force qui entraîne les mondes. On a cru échapper à la difficulté en reconnaissant que c’est la terre qui tourne, mais on avait compté sans la pomme de Newton, la mécanique céleste de Laplace et la loi de la gravitation. Que le mouvement de la terre soit suspendu, non pas deux heures, mais quelques minutes, la force centrifuge cesse, et la terre va se précipiter sur le soleil ; l’équilibre des eaux à sa surface est maintenu par la continuité du mouvement ; le mouvement cessant, tout est bouleversé ; or, l’histoire du monde ne fait pas mention du moindre cataclysme à cette époque. Nous ne contestons pas que Dieu ait pu favoriser Josué en prolongeant la clarté du jour ; quel moyen employa-t-il ? nous l’ignorons ; ce pouvait être une aurore boréale, un météore ou tout autre phénomène qui n’eût rien changé à l’ordre des choses ; mais, à coup sûr, ce ne fut pas celui dont on a fait pendant des siècles un article de foi ; que jadis on l’ait cru, c’est assez naturel, mais aujourd’hui cela n’est pas possible, à moins de renier la science.

Mais, dira-t-on, la religion s’appuie sur bien d’autres faits qui ne sont ni expliqués ni explicables. Inexpliqués, oui ; inexplicables, c’est une autre question ; sait-on les découvertes et les connaissances que nous réserve l’avenir ? Ne voit-on pas déjà, sous l’empire du magnétisme, du somnambulisme, du Spiritisme, se reproduire les extases, les visions, les apparitions, la vue à distance, les guérisons instantanées, les enlèvements, les communications orales et autres avec les êtres du monde invisible, phénomènes connus de temps immémorial, considérés jadis comme merveilleux, et démontrés aujourd’hui appartenir à l’ordre des choses naturelles selon la loi constitutive des êtres ? Les livres sacrés sont pleins de faits qualifiés de surnaturels ; mais, comme on en trouve d’analogues et de plus merveilleux encore dans toutes les religions païennes de l’antiquité, si la vérité d’une religion dépendait du nombre et de la nature de ces faits, nous ne savons trop celle qui l’emporterait.

M. Guizot, comme preuve du surnaturel, cite la formation du premier homme qui a dû être créé adulte, parce que, dit-il, seul, à l’état d’enfance, il n’eût pu se nourrir. Mais si Dieu a fait une exception en le créant adulte, ne pouvait-il en faire une en donnant à l’enfant les moyens de vivre, et cela même sans s’écarter de l’ordre établi ? Les animaux étant antérieurs à l’homme, ne pouvait-il réaliser, à l’égard du premier enfant, la fable de Romulus et Rémus ?  † 

Nous disons du premier enfant, nous devrions dire des premiers enfants ; car la question d’une souche unique de l’espèce humaine est très controversée. En effet, les lois anthropologiques démontrent l’impossibilité matérielle que la postérité d’un seul homme ait pu, en quelques siècles, peupler toute la terre, et se transformer en races noires, jaunes et rouges ; car il est bien démontré que ces différences tiennent à la constitution organique et non au climat.

M. Guizot soutient une thèse dangereuse en affirmant que nulle religion n’est possible sans surnaturel ; s’il fait reposer les vérités du Christianisme sur la base unique du merveilleux, il lui donne un appui fragile dont les pierres se détachent chaque jour. Nous lui en donnons une plus solide : les lois immuables de Dieu. Cette base défie le temps et la science ; car le temps et la science viendront la sanctionner. La thèse de M. Guizot conduit donc droit à cette conclusion que, dans un temps donné, il n’y aura plus de religion possible, pas même la religion chrétienne, si ce qui est regardé comme surnaturel est démontré naturel. Est-ce là ce qu’il a voulu prouver ? Non ; mais c’est la conséquence de son argument, et l’on y marche à grands pas ; car on aura beau faire et entasser raisonnements sur raisonnements, on ne parviendra pas à maintenir la croyance qu’un fait est surnaturel, quand il est prouvé qu’il ne l’est pas.

Sous ce rapport nous sommes beaucoup moins sceptique que M. Guizot, et nous disons que Dieu n’est pas moins digne de notre admiration, de notre reconnaissance et de notre respect pour n’avoir pas dérogé à ses lois, grandes surtout par leur immuabilité, et qu’il n’est pas besoin de surnaturel pour lui rendre le culte qui lui est dû, et, par conséquent, pour avoir une religion qui trouvera d’autant moins d’incrédules qu’elle sera de tous points sanctionnée par la raison. Or, selon nous, le Christianisme n’a rien à perdre à cette sanction ; il ne peut qu’y gagner : si quelque chose a pu lui nuire dans l’opinion de beaucoup de gens, c’est précisément l’abus du merveilleux et du surnaturel. Faites voir aux hommes la grandeur et la puissance de Dieu dans toutes ses œuvres ; montrez-lui sa sagesse et son admirable prévoyance depuis la germination du brin d’herbe jusqu’au mécanisme de l’univers : les merveilles ne manqueront pas ; remplacez dans son esprit l’idée d’un Dieu jaloux, colère, vindicatif et implacable, par celle d’un Dieu souverainement juste, bon et miséricordieux, qui ne condamne pas à des supplices éternels et sans espoir pour des fautes temporaires ; que dès l’enfance il soit nourri de ces idées qui grandiront avec sa raison, et vous ferez plus de fermes et sincères croyants qu’en le berçant d’allégories que vous le forcez de prendre à la lettre, et qui, plus tard, repoussées par lui, le conduisent à douter de tout, et même à tout nier. Si vous voulez maintenir la religion par l’unique prestige du merveilleux, il n’y a qu’un seul moyen, c’est de maintenir les hommes dans l’ignorance ; voyez si c’est possible. A force de ne montrer l’action de Dieu que dans des prodiges, dans des exceptions, on cesse de la faire voir dans les merveilles que nous foulons aux pieds.

On objectera sans doute la naissance miraculeuse du Christ, que l’on ne saurait expliquer par les lois naturelles, et qui est une des preuves les plus éclatantes de son caractère divin. Ce n’est point ici le lieu d’examiner cette question ; mais, encore une fois, nous ne contestons pas à Dieu le pouvoir de déroger aux lois qu’il a faites ; ce que nous contestons, c’est la nécessité absolue de cette dérogation pour l’établissement d’une religion quelconque.

Le Magnétisme et le Spiritisme, dira-t-on, en reproduisant des phénomènes réputés miraculeux, sont contraires à la religion actuelle, parce qu’ils tendent à ôter à ces faits leur caractère surnaturel. Qu’y faire, si ces faits sont réels ? On ne les empêchera pas, puisqu’ils ne sont pas le privilège d’un homme, mais qu’ils se produisent dans le monde entier. On pourrait en dire autant de la physique, de la chimie, de l’astronomie, de la géologie, de la météorologie, de toutes les sciences en un mot. Sous ce rapport, nous dirons que le scepticisme de beaucoup de gens n’a pas d’autre source que l’impossibilité, selon eux, de ces faits exceptionnels ; niant la base sur laquelle on s’appuie, ils nient tout le reste ; prouvez leur la possibilité et la réalité de ces faits, en les reproduisant sous leurs yeux, ils seront bien forcés d’y croire. – Mais c’est ôter au Christ son caractère divin ! – Aimez-vous donc mieux qu’ils ne croient à rien du tout que de croire à quelque chose ? N’y a-t-il donc que ce moyen de prouver la divinité de la mission du Christ ? Son caractère ne ressort-il pas cent fois mieux de la sublimité de sa doctrine et de l’exemple qu’il a donné de toutes les vertus ? Si l’on ne voit ce caractère que dans les actes matériels qu’il a accomplis, d’autres n’en ont-ils pas fait de semblables, à ne parler que d’Apollonius de Thyane, son contemporain ? Pourquoi donc le Christ l’a-t-il emporté sur ce dernier ? C’est parce qu’il a fait un miracle bien autrement grand que de changer l’eau en vin, de nourrir quatre mille hommes avec cinq pains, de guérir les épileptiques, de rendre la vue aux aveugles et de faire marcher les paralytiques ; ce miracle, c’est d’avoir changé la face du monde ; c’est la révolution qu’a faite la simple parole d’un homme sorti d’une étable pendant trois ans de prédication, sans avoir rien écrit, aidé seulement de quelques obscurs pêcheurs ignorants. Voilà le véritable prodige, celui où il faut être aveugle pour ne pas voir la main de Dieu. Pénétrez les hommes de cette vérité, c’est le meilleur moyen de faire de solides croyants.



[1] [Voir aussi du même auteur : Méditations sur l’ état actuel de la religion chrétienne — Google Books.]


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