1. — Monsieur,
On peut être en désaccord sur certains points, et être en parfait accord sur d’autres. Je viens de lire, à la page 213 du dernier numéro de votre journal, des réflexions sur la fraude en matière d’expériences spiritualistes (ou Spirites) auxquelles je suis heureux de m’associer de toutes mes forces.
Là, toute dissidence en matière de théories et de doctrines disparaît comme par enchantement.
Je ne suis peut-être pas aussi sévère que vous à l’égard des médiums qui, sous une forme digne et convenable, acceptent une rémunération comme indemnité du temps qu’ils consacrent à des expériences souvent longues et fatigantes ; mais je le suis tout autant, — et on ne saurait trop l’être, — à l’égard de ceux qui, en pareil cas, suppléent, dans l’occasion, par la tricherie et par la fraude à l’absence ou à l’insuffisance des résultats promis et attendus.
Mêler le faux au vrai, quand il s’agit des phénomènes obtenus par l’intervention des Esprits, c’est tout bonnement une infamie, et il y aurait oblitération de sens moral chez le médium qui croirait pouvoir le faire sans scrupule. Ainsi que vous le faites parfaitement observer, c’est jeter le discrédit sur la chose dans l’esprit des indécis, dès que la fraude est reconnue. J’ajouterai que c’est compromettre de la manière la plus déplorable les hommes honorables qui prêtent aux médiums l’appui désintéressé de leurs connaissances et de leurs lumières, qui se portent garants de leur bonne foi, et les patronnent en quelque sorte ; c’est commettre envers eux une véritable forfaiture.
Tout médium qui serait convaincu de manœuvres frauduleuses ; qui serait pris, pour me servir d’une expression un peu triviale, la main dans le sac, mériterait d’être mis au ban de tous les spiritualistes, ou Spirites du monde, pour qui ce serait un devoir rigoureux de les démasquer ou de les flétrir.
S’il vous convient, monsieur, d’insérer ces quelques lignes dans votre journal, elles sont à votre service.
Agréez, etc.
MATHIEU.
2. — Nous n’attendions pas moins des sentiments honorables qui distinguent M. Mathieu, que cette énergique réprobation prononcée contre les médiums de mauvaise foi ; nous aurions été surpris, au contraire, qu’il eût pris froidement et avec indifférence de tels abus de confiance. Ils pouvaient être plus faciles, lorsque le Spiritisme était moins connu ; mais, à mesure que cette science est plus répandue et mieux comprise, que l’on connaît mieux les véritables conditions dans lesquelles les phénomènes peuvent se produire, il se trouve partout des yeux clairvoyants capables de découvrir la fraude ; la signaler partout où elle se montre est le meilleur moyen de la décourager.
On a dit qu’il serait préférable de ne pas dévoiler ces turpitudes dans l’intérêt du Spiritisme ; que la possibilité de tromper pourrait augmenter la défiance des indécis. Nous ne sommes pas de cet avis, et nous pensons qu’il vaut encore mieux que les indécis soient défiants que trompés, car une fois qu’ils sauraient l’avoir été, ils pourraient s’éloigner sans retour ; il y aurait d’ailleurs encore un plus grand inconvénient à ce qu’ils crussent que les Spirites se laissent facilement prendre pour dupes ; ils seront au contraire d’autant plus disposés à croire, qu’ils verront les croyants s’entourer de plus de précautions, et répudier les médiums susceptibles de tromper.
M. Mathieu dit qu’il n’est peut-être pas aussi sévère que nous à l’endroit des médiums qui, sous une forme digne et convenable, acceptent une rémunération comme indemnité du temps qu’ils consacrent à la chose. Nous sommes parfaitement d’avis qu’il peut et doit y avoir d’honorables exceptions, mais comme l’appât du gain est un grand tentateur, et que les personnes novices n’ont pas l’expérience nécessaire pour distinguer le vrai du faux, nous maintenons notre opinion que la meilleure garantie de sincérité est dans le désintéressement absolu, parce que là où il n’y a rien à gagner, le charlatanisme n’a rien à faire ; celui qui paie veut en avoir pour son argent, et ne serait pas content si on lui disait que l’Esprit ne veut pas agir ; de là à la découverte des moyens de faire agir l’Esprit quand même, il n’y a qu’un pas, selon le proverbe : la nécessité est la mère de l’industrie. Nous ajoutons que les médiums gagneront au centuple en considération ce qu’ils manqueront de gagner en profits matériels. La considération, dit-on, ne fait pas vivre ; il est vrai qu’elle ne suffit pas, mais il est, pour vivre, d’autres industries plus honorables, que l’exploitation des âmes des morts.
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