1. — Tel est le titre d’un roman légendaire, publié à Rome en 1858,
par le R. P. Bresciani de la Compagnie de Jésus, n
auteur du Juif de Vérone. [Le
Juif de Vérone ou Les sociétés secrètes en Italie — Google Books.]
Le sujet de l’ouvrage est l’Histoire, dans le genre de Walter Scott,
de l’antique famille de Canossa : c’est pourquoi l’auteur l’a dédié
au descendant actuel de cette illustre famille, le marquis Octave de
Canossa podestat de Vérone et chambellan de S. M. l’empereur d’Autriche.
L’action se passant au moyen âge, les sorciers et les magiciens y jouent
un grand rôle, et les scènes de diableries y sont décrites avec une
précision qui ferait envie au romancier écossais. L’auteur nous semble
moins heureux dans son appréciation des phénomènes Spirites modernes,
des tables parlantes, du magnétisme, du somnambulisme ; or, voici ce
que nous lisons à ce sujet dans le chapitre X, page 170 :
2. — Plus d’un de mes lecteurs, et peut-être n’est-ce pas le moindre nombre, pourrait bien s’étonner de voir s’étaler, dans les chapitres qui précèdent, tout cet appareil de diableries, de conjurations, de sortilèges, d’hallucinations, d’irruptions fantastiques qui ne ressemblent pas mal à des récits de veillées et à des contes de nourrices. — Qui croit encore, de nos jours, aux nécromanciens, aux sorciers, aux enchanteurs, aux charmes, aux philtres, au commerce avec le diable ? Voudriez-vous nous ramener aux contes bleus de Martin del Rio, n aux niaises superstitions du peuple et des commères des carrefours, par des légendes à faire venir la chair de poule aux paysannes joufflues qui ont peur du loup-garou, et à empêcher de dormir les marmots tremblants, au nom de Croquemitaine ? Vraiment, l’ami, le moment est bien choisi pour nous débiter ces balivernes ! — Tel est, à peu près, le langage que je crois m’entendre adresser.
« Je répondrai que, avant de faire tant fi des anciennes croyances, il faudrait que chacun mît la main sur sa conscience et se demandât, bien franchement, s’il n’est pas au moins aussi crédule qu’aucun de ses devanciers. Voyons un peu : Que signifie cette vogue de magnétiseurs et de médiums, de tables tournantes, parlantes, prophétisantes ; de somnambules qui voient au travers des murailles, qui lisent par le coude, qui ont présent devant eux ce qui se dit et se fait à vingt, trente, quarante milles de là ; qui lisent et écrivent sans savoir ni A ni B. ; qui, sans connaître un mot de médecine signalent, déterminent tous les cas pathologiques, en indiquent les causes, en prescrivent le remède avec les doses de l’ordonnance, dans tous les termes gréco-arabes du vocabulaire scientifique ? Qu’est-ce que ces interrogatoires d’esprits, ces réponses de gens morts et enterrés, ces prophéties d’événements futurs ? Qui évoque ces ombres ? qui les fait parler ? qui leur fait voir un avenir qui n’existe pas ? Qui leur fait proférer ces blasphèmes contre Dieu, contre les saints du Ciel, contre les sacrements de l’Église ?
« Voyons, braves gens, parlez ! Pourquoi ces contorsions et ces regards ombrageux ? — Eh ! finissez-vous par me dire, qui sait ! Mystères de la nature, lois inconnues, force de lucidité, sens caché dans l’organisme humain ! subtilité du fluide magnétique, de l’influx nerveux, des ondulations optiques, et acoustiques ; vertus secrètes que l’électricité ou le magnétisme excitent dans le cerveau, dans le sang, dans les fibres, dans toutes les parties vitales ; puissances et forces suprêmes de la volonté et de l’imagination.
« Mes amis, ce sont là des sornettes, des mots vides de sens, des phrases creuses, des détours ambigus, des énigmes que vous ne comprenez pas vous-mêmes. Toute la différence qu’il y a entre nous et nos ancêtres, c’est que, pour nier un mystère, nous en forgeons cent autres ; tandis que ces bonnes gens appelaient un chat un chat, et le diable le diable, nous avons la prétention de gratifier la nature de forces qu’elle n’a et ne peut pas avoir ; nos vieux, plus sages et plus francs, disaient, sans tant d’ambages, qu’il existait des opérations surnaturelles, et ils les traitaient, tout bonnement, de diableries.
« Moins versés que nous, cependant, dans la connaissance des phénomènes naturels, il leur arrivait sans doute, de prendre quelquefois pour un effet prodigieux des choses qui ne sortent pas de l’ordre naturel, tandis que les modernes, beaucoup plus éclairés, ne laissent pas que de regarder bon nombre des supercheries des magnétiseurs comme l’effet mystérieux des lois secrètes de la nature, et les opérations vraiment diaboliques comme des tours de passe-passe plus ou moins subtils. Mais les hommes plus chrétiens du bon vieux temps savaient fort bien que les mauvais Esprits, évoqués au moyen de certains signes, de certaines conjurations, de certains pactes, apparaissaient, répondaient, hallucinaient l’imagination en l’impressionnant de mille manières et en faisant surtout le plus de mal qu’ils pouvaient à ceux qui conversaient avec eux. Avouez donc de bonne foi que, de nos jours même, nous avons, et en plus grand nombre que les anciens, nos nécromanciens, nos enchanteurs et nos sorciers, avec cette différence que nos pauvres pères avaient horreur de ces maléfices, qu’ils les pratiquaient en secret, dans les ténèbres, dans les cavernes, dans les forêts, et que beaucoup s’en repentaient, s’en confessaient et en faisaient ensuite pénitence ; au lieu que, de nos jours, on les exerce dans les salons étincelants de dorures et de lumières, en présence des curieux, devant des jeunes filles, des enfants, des mères, sans s’en faire le moindre scrupule et en s’ébaudissant souvent des superstitions du moyen âge.
« Croyez-moi, à toutes les époques, les hommes ont voulu avoir affaire avec le démon, et cet esprit rusé, pour peu que les hommes ne le renvoient pas à ses abîmes et qu’ils tiennent à son commerce, se plie à toutes les transformations. Dans les siècles idolâtres, il vivait avec les oracles et les pythonisses ; il se montrait sous la forme de colombe, de pie, de coq, de serpent, et chantait des vers fatidiques. Au moyen âge il faisait le pédant vis-à-vis de ces peuples barbares, et leur apparaissait sous des formes terribles, dans de monstrueuses conjurations. Si, parfois, il se rapetissait et se subtilisait au point de se loger dans les cheveux, dans des fioles, dans des philtres, que les sorciers faisaient avaler aux amoureux, ce n’était pas sans inspirer encore une grande terreur. Aujourd’hui, en revanche, il se prête à la civilisation du siècle ; il se plaît dans le beau monde, dans les soirées brillantes ; tour à tour, dormant avec les somnambules, dansant avec les tables, écrivant avec les guéridons. N’est-il pas bien gentil, en vérité ? Il se garde bien d’effaroucher personne ! Il s’habille à l’américaine, à l’anglaise, à la parisienne, à l’allemande ; il est vraiment aimable, sous la barbe et la fine moustache des Italiens ; il est la coqueluche des salons, et il faudrait être bien malotru pour ne pas le trouver d’une irréprochable distinction. Voyez donc ! Il est devenu si bon apôtre qu’il s’entretient le plus courtoisement du monde avec telle dame qui va encore à la messe et qui, si vous lui disiez : — Prenez garde ! il y a des choses qui ne sont pas naturelles et qui ne sauraient l’être : il y a quelque anguille sous roche ; les bons chrétiens ne s’occupent pas de tout cela, — vous rirait au nez, et vous répondrait d’un petit air piqué : — Que diantre ! tout cela est fort naturel : je suis chrétienne aussi, moi ; mais je ne suis pas une imbécile.
« En attendant, si l’occasion se présente, elle fera magnétiser sa jeune fille de vingt ans, pour lui faire lire, dans l’intuition magnétique, des faits éloignés ou des secrets de l’avenir.
« Je vous laisse à penser si ce beau diable en gants jaunes doit rire dans sa barbe de la bonne chrétienne ! »
3. — Nous laissons à nos lecteurs le soin d’apprécier le jugement du P. Bresciani : ils y chercheront sans doute en vain, comme nous, des arguments péremptoires contre les idées Spirites, une démonstration quelconque de la fausseté de ces idées ; il pense, sans doute, qu’elles ne valent pas la peine d’une réfutation sérieuse et qu’il suffit de souffler dessus pour les dissiper. Mais il nous semble que, à l’exemple de la plupart des adversaires, il arrive à une conséquence tout autre que celle qu’il espère, dès lors qu’il ne prouve pas, par A plus B, que cela n’est pas et ne PEUT pas être. Comme le P. Bresciani est un homme d’un talent incontestable et d’une instruction supérieure, nous pensons que, puisque son but était de combattre les Esprits, il a dû réunir contre eux ses armes les plus redoutables ; d’où nous concluons que s’il ne dit pas davantage, c’est qu’il n’a rien de plus à dire ; que s’il ne donne pas d’autres preuves, c’est qu’il n’en a pas de meilleures à opposer : autrement il n’aurait eu garde de les laisser au fond du sac. Les plus ridiculisés, dans toute cette argumentation, ce ne sont pas les Esprits, mais bien le diable lui-même qui y est traité un peu cavalièrement, et non point comme une chose prise au sérieux. On serait tenté de penser, à ce style facétieux, que l’auteur ne croit pas plus au diable qu’aux Esprits. Si pourtant c’est, comme il le prétend, l’agent unique de toutes les manifestations, on conviendra qu’il lui fait jouer un rôle plus plaisant que terrible, et bien plus capable de piquer la curiosité que d’effrayer. Tel est, au reste, jusqu’à présent, le résultat de tout ce qu’on a dit et écrit contre le Spiritisme ; on l’a bien plus servi qu’on ne lui a nui.
Selon la plupart des critiques, le fait des manifestations est sans portée ; c’est un engouement passager, un joujou de salon, et l’auteur ne nous paraît pas l’avoir envisagé sous un côté plus grave ; s’il en est ainsi, à quoi bon s’en tourmenter ? Laissez à la mode le soin d’apporter demain un autre passe-temps, et le Spiritisme vivra ce qu’a vécu la potichomanie : l’espace de deux saisons. En lui lançant des pierres, on fait croire qu’on en a peur, car on ne cherche à abattre que ce qu’on redoute ; si c’est une chimère, une utopie, pourquoi se battre contre des moulins à vent ? Il est vrai qu’on dit que le diable s’en mêle quelquefois ; mais il ne faudrait pas beaucoup d’auteurs comme celui-ci, peignant le diable sous des couleurs aussi roses, pour donner à toutes les femmes l’envie de le connaître.
Le P. Bresciani a-t-il bien examiné la question ? a-t-il pesé la portée de toutes ses paroles ? Il nous permettra d’en douter. Quand il dit : Qu’est-ce que ces réponses de gens morts et enterrés ? Qui leur fait voir un avenir QUI N’EXISTE PAS ? Nous nous demandons si c’est un chrétien ou un matérialiste qui a écrit de pareilles choses ; et encore le matérialiste parlerait-il des morts avec plus de respect. — Qui leur fait proférer ces blasphèmes contre Dieu ? Où sont ces blasphèmes ? L’auteur, qui met tout sur le compte du diable, les suppose sans doute, autrement il saurait que la confiance la plus illimitée en la bonté infinie de Dieu est la base même du Spiritisme ; que tout s’y fait au nom de Dieu ; que les Esprits les plus pervers n’en parlent qu’avec crainte et respect, et les bons qu’avec amour. Qu’y a-t-il là de blasphématoire ? — Mais que penser de ces paroles : Nous avons la prétention de gratifier la nature de forces quelle n’a et ne PEUT avoir ; nos VIEUX, plus sages, les traitaient tout bonnement de diableries. Ainsi, il est plus sage d’attribuer les phénomènes de la nature au diable qu’à Dieu. Tandis que nous proclamons la puissance infinie du Créateur, le P. Bresciani lui pose des limites ; la nature, qui résume l’œuvre divine, n’a pas, et ne PEUT pas avoir d’autres forces que celles que nous lui connaissons ; quant à celles qu’on pourrait découvrir, il est plus sage d’en faire hommage au diable, qui serait ainsi plus puissant que Dieu. Est-il besoin de demander de quel côté est le blasphème, ou le plus grand respect pour l’Être Suprême ? — Enfin, le diable prend toutes les formes : N’est-il pas bien gentil, en vérité ? Il s’habille à l’américaine, à l’anglaise, à la parisienne ; il est vraiment aimable sous la barbe et la fine moustache des Italiens, et il faudrait être bien malotru pour ne pas le trouver d’une irréprochable distinction. Nous ne savons si les Italiens seront bien flattés d’être pris pour des diables en gants jaunes. Quelles sont ces belles dames, qui font leur coqueluche de ces gentils démons, et qui, à l’avis charitable qu’une anguille sous roche est à craindre, vous rient au nez en vous lançant un : Que diantre ! je ne suis pas une imbécile ! Si c’est la nature prise sur le fait, nous demanderons dans quel monde, l’entier ou le demi, elles se servent d’aussi jolies expressions. Nous regrettons que l’auteur n’ait pas puisé ses connaissances en Spiritisme à une source plus sérieuse, sans quoi il n’en parlerait pas aussi légèrement.
Tant qu’on n’y opposera pas des arguments plus péremptoires, ses partisans pourront dormir bien tranquilles.
[1] Un vol. in-8, traduit de l’italien ; chez J.-B. Pélagaud, et Cie, rue des Saints-Pères, 57, à Paris. Prix, 3 fr. 50 c.
[2] Del Rio, savant jésuite, né à Anvers en 1551, mourut en 1608. L’auteur fait illusion ici à son ouvrage intitulé : Disquisitiones magicœ.