Nous extrayons l’article suivant de la chronique du Paris-Journal, nº 44. Il n’a pas besoin de commentaire ; il montre que si, comme le disent assez peu poliment ceux qui s’adjugent sans façon le privilège du bon sens, tous les partisans du Spiritisme sont des fous, on peut se consoler et même s’honorer d’aller aux Petites-Maisons en compagnie d’intelligences de la trempe de Madame de Girardin et de tant d’autres.
« Je vous ai promis l’autre jour l’histoire de Madame de Girardin et d’un célèbre docteur ; je vous la raconterai aujourd’hui, car j’en ai obtenu la permission ; elle est fort curieuse. Nous resterons encore dans le surnaturel ; on s’en occupe plus que jamais, et nous qui, par état, tâtons le pouls à Paris, † nous lui trouvons un léger accès de fièvre chaude à cet égard. Décidément c’est un besoin pour l’imagination humaine que de savoir l’avenir et de percer les mystères de la nature. Lorsqu’on voit des intelligences comme celle de Delphine Gay s’adonner à ces pratiques, que l’on traite de puériles on ne peut leur refuser une certaine importance surtout quand elles sont appuyées de témoignages irrécusables, tels que celui dont je vous parle et que vous allez connaître, — j’entends le témoignage, mais non le docteur, — si vous voulez bien.
« Madame de Girardin avait une petite planchette et un crayon ; elles les consultait sans cesse. Elle avait ainsi des conversations avec beaucoup de célébrités de l’histoire, sans compter le diable qui s’en mêlait aussi. Un soir même il vint se révéler à un grave personnage qui n’en eut pas peur, puisque son état est de le chasser. La grande Delphine ne faisait rien sans l’avis de sa planchette ; elle lui demandait des conseils littéraires que celle-ci ne lui refusait point ; elle était même pour l’illustre poète d’une sévérité magistrale. Ainsi elle lui répétait sans cesse de ne plus faire de tragédies, sans considération pour les vers merveilleux que renferment Judith et Cléopâtre. Qui est-ce qui va voir jouer une tragédie ? les fanatiques de la poésie dramatique. Que cherchent-ils dans une tragédie ? ils cherchent de beaux vers qui les émeuvent et les touchent, et Judith et Cléopâtre fourmillent de ces pensées de femme, exprimées par une femme d’un esprit et d’un cœur éminents, dont le talent n’est contesté par personne. Enfin la planchette ne le voulait pas, elle s’obstinait à la prose et à la comédie ; elle collaborait pour les dénouements et corrigeait les longueurs.
« Non seulement Delphine lui confiait ses travaux littéraires, mais elle lui racontait encore ses souffrances et prenait ses ordonnances pour sa santé. Hélas ! ces ordonnances, dictées par l’imagination de la malade ou par le démon, ont contribué à nous l’enlever. Elle prenait des remèdes incroyables, des tartines de beurre au poivre, des piments, tous engins de destruction pour une nature inflammable telle que celle-là ; on en a trouvé des preuves après sa mort, dont ses amis et ses admirateurs ne se consoleront jamais.
« Tout le monde connaît Chasseriau, emporté, lui aussi, dans la fleur de l’âge. Il fit de souvenir un portrait superbe de la belle défunte ; on l’a gravé et il est partout aujourd’hui. Il porta le portrait au docteur en question et lui demanda s’il en était content ; celui-ci fit quelques légères observations. Le peintre allait s’y rendre, lorsque l’idée leur vint à tous les deux de s’en rapporter au modèle lui-même. Ils placèrent les mains sur la planchette, Madame de Girardin se révéla presque aussitôt. On comprend quelle fut leur émotion. Interrogée sur le portrait, elle dit qu’il n’était pas parfait, qu’il n’y fallait pas toucher cependant, parce qu’on courrait risque de le gâter, la ressemblance étant fort délicate et fort difficile à saisir, lorsqu’on n’a pas d’autre guide que la mémoire. On lui fit d’autres questions ; aux unes elle refusa de répondre, aux autres elle répondit.
« On s’informa du lieu où elle était.
« — Je ne veux pas le dire, répliqua-t-elle.
« Et malgré toutes les prières on ne put rien en obtenir sur ce point.
« — Etes-vous heureuse ?
« — Non.
« — Pourquoi !
« — Parce que je ne puis plus être utile à ceux que j’aime. »
« Elle resta muette obstinément tant qu’on lui parla de l’autre vie et ne donna aucun renseignement ; elle ne dit même pas si cela lui était défendu, ou si elle agissait de son plein gré. Après une longue conversation elle s’en alla. On dressa procès-verbal de cette séance. Les deux témoins en furent si impressionnés qu’ils n’ont pas recommencé depuis. Le docteur pourrait maintenant appeler celui qui l’assistait ce jour-là et avoir ces deux grands esprits dans sa planchette. Comme tout passe en ce monde ! Et quel enseignement dans ces faits étranges si nous les prenions au point de vue philosophique et religieux ! »
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