32. — Pendant les belles nuits étoilées et sans lune, chacun a pu remarquer cette lueur blanchâtre qui traverse le ciel d’une extrémité à l’autre, et que les Anciens avaient surnommée voie lactée, à cause de son apparence laiteuse. Cette lueur diffuse a été longuement explorée par l’œil du télescope dans les temps modernes, et ce chemin de poudre d’or, ou ce ruisseau de lait de l’antique mythologie, s’est transformé en un vaste champ de merveilles inconnues. Les recherches des observateurs ont amené à la connaissance de sa nature, et ont montré, là où le regard égaré ne rencontrait qu’une faible clarté, des millions de soleils plus lumineux et plus importants que celui qui nous éclaire.
33. — La voie lactée, en effet, est une campagne semée de fleurs solaires ou planétaires qui brillent dans sa vaste étendue. Notre soleil et tous les corps qui l’accompagnent font partie de ces globes rayonnants dont se compose la voie lactée ; mais, malgré ses dimensions gigantesques relativement à la terre et à la grandeur de son empire, il n’occupe cependant qu’une place inappréciable dans cette vaste création. On peut compter une trentaine de millions de soleils semblables à lui qui gravitent en cette immense région, éloignés chacun les uns des autres du plus de cent mille fois le rayon de l’orbite terrestre. n
34. — On peut juger, par cette approximation de l’étendue de cette région sidérale, et de la relation qui unit notre système à l’universalité des systèmes qui l’occupent. On peut juger également de l’exiguïté du domaine solaire et, a fortiori, du néant de notre petite terre. Que serait-ce donc, si l’on considérait les êtres qui le peuplent !
2 Je dis du néant, car nos déterminations s’appliquent non seulement à l’étendue matérielle, physique, des corps que nous étudions, — ce serait peu, — mais encore et surtout à leur état moral d’habitation, au degré qu’ils occupent dans l’éternelle hiérarchie des êtres. 3 La création s’y montre dans toute sa majesté, créant et propageant tout autour du monde solaire, et dans chacun des systèmes qui l’entourent de toutes parts, les manifestations de la vie et de l’intelligence.
35. — On connaît de cette manière la position occupée par notre soleil ou par la terre dans le monde des étoiles ; ces considérations acquerront un plus grand poids encore, si l’on réfléchit à l’état même de la voie lactée qui, dans l’immensité des créations sidérales, ne représente elle-même qu’un point insensible et inappréciable, vue de loin ; car elle n’est autre chose qu’une nébuleuse stellaire, comme il en existe des milliers dans l’espace. Si elle nous paraît plus vaste et plus riche que d’autres, c’est par cette seule raison qu’elle nous entoure et se développe dans toute son étendue sous nos yeux ; tandis que les autres, perdues dans des profondeurs insondables, se laissent à peine entrevoir.
36. — Or, si l’on sait que la terre n’est rien ou presque rien dans le système solaire ; celui-ci rien ou presque rien dans la voie lactée ; celle-ci rien ou presque rien dans l’universalité des nébuleuses, et cette universalité elle-même fort peu de chose au milieu de l’immense infini, on commencera à comprendre ce que c’est que le globe terrestre.
37. — Les étoiles que l’on appelle fixes, et qui constellent les deux hémisphères du firmament, ne sont point isolées de toute attraction extérieure, comme on le suppose généralement ; loin de là, elles appartiennent toutes à une même agglomération d’astres stellaires. Cette agglomération n’est autre que la grande nébuleuse dont nous faisons partie, et dont le plan équatorial qui se projette dans le ciel a reçu le nom de voie lactée. Tous les soleils qui la composent sont solidaires ; leurs multiples influences réagissent perpétuellement l’une sur l’autre, et la gravitation universelle les réunit tous en une même famille.
38. — Parmi ces divers soleils, la plupart sont, comme le nôtre, entourés de mondes secondaires, qu’ils illuminent et fécondent par les mêmes lois qui président à la vie de notre système planétaire. 2 Les uns, comme Sirius, sont des milliers de fois plus magnifiques en dimensions et en richesses que le nôtre, et leur rôle plus important dans l’univers, de même que des planètes en plus grand nombre et fort supérieures aux nôtres les entourent. D’autres sont très dissemblables par leurs fonctions astrales. 3 C’est ainsi qu’un certain nombre de ces soleils, véritables jumeaux de l’ordre sidéral sont accompagnés de leurs frères du même âge, et forment, dans l’espace, des systèmes binaires auxquels la nature a donné des fonctions tout autres que celles qui appartiennent à notre soleil. n Là, les années ne se mesurent plus par les mêmes périodes, ni les jours par les mêmes soleils, et ces mondes éclairés par un double flambeau ont reçu en partage des conditions d’existence inimaginables pour ceux qui ne sont pas sortis de ce petit monde terrestre.
4 D’autres astres, sans cortège, privés de planètes, ont reçu les meilleurs éléments de l’habitabilité qui soient donnés à aucun. 5 Les lois de la nature sont diversifiées dans leur immensité, et si l’unité est le grand mot de l’univers, la variété infinie n’en est pas moins l’éternel attribut.
39. — Malgré le nombre prodigieux de ces étoiles et de leurs systèmes, malgré les distances incommensurables qui les séparent, elles n’en appartiennent pas moins toutes à la même nébuleuse stellaire que les regards des plus puissants télescopes peuvent à peine traverser, et que les conceptions les plus hardies de l’imagination peuvent à peine franchir, nébuleuse qui, néanmoins, n’est qu’une unité dans l’ordre des nébuleuses qui composent le monde astral.
40. — Les étoiles que l’on appelle fixes ne sont point immobiles dans
l’étendue. 2
Les constellations que l’on a figurées sur la voûte du firmament ne
sont pas des créations symboliques réelles. 3
La distance de la terre et la perspective sous laquelle on mesure
l’univers depuis cette station sont les deux causes de cette double
illusion d’optique. (Chap.
V, nº 12.)
41. — Nous avons vu que la totalité des astres qui étincellent au dôme azuré est enfermée dans une même agglomération cosmique, dans une même nébuleuse que vous nommez voie lactée ; mais, pour appartenir tous au même groupe, ces astres n’en sont pas moins animés chacun d’un mouvement propre de translation dans l’espace ; le repos absolu n’existe nulle part. Ils sont régis par les lois universelles de la gravitation, et roulent dans l’étendue sous l’impulsion incessante de cette force immense ; ils roulent, non point suivant des routes tracées par le hasard, mais suivant des orbites fermées dont le centre est occupé par un astre supérieur. Pour rendre mes paroles plus compréhensibles par un exemple, je parlerai spécialement de votre soleil.
42. — On sait, par des observations modernes, qu’il n’est point fixe ni central, comme on le croyait aux premiers jours de l’astronomie nouvelle, mais qu’il s’avance dans l’espace, entraînant avec lui son vaste système de planètes, de satellites et de comètes.
2 Or, cette marche n’est point fortuite et il ne va point, errant dans les vides infinis, égarer loin des régions qui lui sont assignées ses enfants et ses sujets. Non, son orbite est mesurée, et concurremment avec d’autres soleils du même ordre que lui, et entourés comme lui d’un certain nombre de terres habitées, il gravite autour d’un soleil central. 3 Son mouvement de gravitation, de même que celui des soleils ses frères, est inappréciable à des observations annuelles, car des périodes séculaires en grand nombre suffiraient à peine à marquer le temps d’une de ces années astrales.
43. — Le soleil central dont nous venons de parler est lui-même un globe secondaire relativement à un autre plus important encore, autour duquel il perpétue une marche lente et mesurée en compagnie d’autres soleils du même ordre.
2 Nous pourrions constater cette subordination successive de soleils à soleils, jusqu’à ce que notre imagination soit fatiguée de gravir une telle hiérarchie ; car, ne l’oublions pas, on peut compter en nombre rond une trentaine de millions de soleils dans la voie lactée, subordonnés les uns aux autres comme les rouages gigantesques d’un immense système.
44. — Et ces astres, en nombres innombrables, vivent chacun d’une vie solidaire ; de même que rien n’est isolé dans l’économie de votre petit monde terrestre, de même rien n’est isolé dans l’incommensurable univers.
2 Ces systèmes de systèmes paraîtraient de loin, à l’œil investigateur du philosophe qui saurait embrasser le tableau développé par l’espace et par le temps, une poussière de perles d’or soulevée en tourbillons sous le souffle divin qui fait voler les mondes sidéraux dans les cieux, comme les grains de sable sur les côtes du désert.
3 Plus d’immobilité, plus de silence, plus de nuit ! Le grand spectacle qui se déroulerait de la sorte sous nos regards serait la création réelle, immense et pleine de la vie éthérée qu’embrasse dans l’ensemble immense le regard infini du Créateur.
4 Mais nous n’avons jusqu’ici parlé que d’une nébuleuse ; ses millions de soleils, ses millions de terres habitées ne forment, comme nous l’avons dit, qu’une île dans l’archipel infini.
45. — Un désert immense, sans bornes, s’étend au-delà de l’agglomération d’étoiles dont nous venons de parler, et l’enveloppe. Des solitudes succèdent aux solitudes, et les plaines incommensurables du vide s’étendent au loin. 2 Les amas de matière cosmique se trouvant isolés dans l’espace comme les îles flottantes d’un immense archipel, si l’on veut apprécier en quelque façon l’idée de l’énorme distance qui sépare l’amas d’étoiles dont nous faisons partie, des plus prochaines agglomérations, il faut savoir que ces îles stellaires sont disséminées et rares dans le vaste océan des cieux, et que l’étendue qui les sépare les unes des autres est incomparablement plus grande que celle qui mesure leurs dimensions respectives.
3 Or, on se rappelle que la nébuleuse stellaire mesure, en nombre rond, mille fois la distance des plus prochaines étoiles prise pour unité, c’est-à-dire quelques cent mille trillions de lieues. La distance qui s’étend entre elles, étant beaucoup plus vaste, ne saurait être exprimée par des nombres accessibles à la compréhension de notre esprit ; l’imagination seule, dans ses plus hautes conceptions, est capable de franchir cette immensité prodigieuse, ces solitudes muettes et privées de toute apparence de vie, et d’envisager en quelque sorte l’idée de cette infinité relative.
46. — Ce désert céleste, cependant, qui enveloppe notre univers sidéral, et qui paraît s’étendre comme les confins reculés de notre monde astral, est embrassé par la vue et par la puissance infinie du Très-Haut qui, par-delà ces cieux de nos cieux, a développé la trame de sa création illimitée.
47. — Au-delà de ces vastes solitudes, en effet, des mondes rayonnent dans leur magnificence aussi bien que dans les régions accessibles aux investigations humaines ; au-delà de ces déserts, de splendides oasis voguent dans le limpide éther, et renouvellent incessamment les scènes admirables de l’existence et de la vie.
2 Là, se déroulent les agrégats lointains de substance cosmique, que l’œil profond du télescope entrevoit à travers les régions transparentes de notre ciel, ces nébuleuses que vous nommez irrésolubles, et qui vous apparaissent comme de légers nuages de poussière blanche perdus en un point inconnu de l’espace éthéré. 3 Là se révèlent et se développent des mondes nouveaux, dont les conditions variées et étrangères à celles qui sont inhérentes à votre globe, leur donnent une vie que vos conceptions ne peuvent imaginer, ni vos études constater. 4 C’est là que resplendit dans toute sa plénitude le pouvoir créateur ; pour celui qui vient des régions occupées par votre système, d’autres lois y sont en action, dont les forces régissent les manifestations de la vie, et les routes nouvelles que nous suivons dans ces pays étranges nous ouvrent des perspectives inconnues. n
48. — Nous avons vu qu’une seule loi primordiale et générale a été donnée à l’univers pour en assurer la stabilité éternelle, et que cette loi générale est perceptible à nos sens par plusieurs actions particulières que nous nommons forces directrices de la nature. Nous allons montrer aujourd’hui que l’harmonie du monde entier, considérée sous le double aspect de l’éternité et de l’espace, est assurée par cette loi suprême.
49. — En effet, si nous remontons à l’origine première des primitives agglomérations de substance cosmique, nous remarquons que déjà, sous l’empire de cette loi, la matière subit les transformations nécessaires qui la mènent du germe au fruit mûr, et que sous l’impulsion des forces diverses nées de cette loi, elle parcourt l’échelle de ses révolutions périodiques ; d’abord centre fluidique des mouvements, ensuite générateur des mondes, plus tard noyau central et attractif des sphères qui ont pris naissance en son sein.
2 Nous savons déjà que ces lois président à l’histoire du Cosmos ; ce qu’il importe de savoir maintenant, c’est qu’elles président également à la destruction des astres, car la mort n’est pas seulement une métamorphose de l’être vivant, mais encore une transformation de la matière inanimée ; et s’il est vrai de dire, dans le sens littéral, que la vie seule est accessible à la faux de la mort, il est aussi juste d’ajouter que la substance doit en toute nécessité subir les transformations inhérentes à sa constitution.
50. — Voici un monde qui, depuis son berceau primitif, a parcouru toute l’étendue des années que son organisation spéciale lui permettait de parcourir ; le foyer intérieur de son existence s’est éteint, ses éléments propres ont perdu leur vertu première ; les phénomènes de la nature, qui réclamaient pour leur production la présence et l’action des forces dévolues à ce monde, ne peuvent se présenter désormais, parce que le levier de leur activité n’a plus le point d’appui qui lui donnait toute sa force.
2 Or, pensera-t-on que cette terre éteinte et sans vie va continuer de graviter dans les espaces célestes, sans but, et passer comme une cendre inutile dans le tourbillon des cieux ? Pensera-t-on qu’elle reste inscrite au livre de la vie universelle, lorsqu’elle n’est plus qu’une lettre morte et dénuée de sens ? 3 Non ; les mêmes lois qui l’ont élevée au-dessus du chaos ténébreux et qui l’ont gratifiée des splendeurs de la vie, les mêmes forces qui l’ont gouvernée pendant les siècles de son adolescence, qui ont affermi ses premiers pas dans l’existence et qui l’ont conduite à l’âge mûr et à la vieillesse, vont présider à la désagrégation de ses éléments constitutifs pour les rendre au laboratoire où la puissance créatrice puise sans cesse les conditions de la stabilité générale. 4 Ces éléments vont retourner à cette masse commune de l’éther, pour s’assimiler à d’autres corps, ou pour régénérer d’autres soleils ; et cette mort ne sera pas un événement inutile à cette terre ni à ses sœurs : elle renouvellera, dans d’autres régions, d’autres créations d’une nature différente, et là où des systèmes de mondes se sont évanouis renaîtra bientôt un nouveau parterre de fleurs plus brillantes et plus parfumées.
51. — Ainsi l’éternité réelle et effective de l’univers est assurée par les mêmes lois qui dirigent les opérations du temps ; ainsi les mondes succèdent aux mondes, les soleils aux soleils, sans que l’immense mécanisme des vastes cieux soit jamais atteint dans ses gigantesques ressorts.
2 Là où vos yeux admirent de splendides étoiles sous la voûte des nuits, là où votre esprit contemple des rayonnements magnifiques qui resplendissent sous de lointains espaces, depuis longtemps le doigt de la mort a éteint ces splendeurs, depuis longtemps le vide a succédé à ces éblouissements et reçu même de nouvelles créations encore inconnues. 3 L’immense éloignement de ces astres, par lequel la lumière qu’ils nous envoient met des milliers d’années à nous parvenir, fait que nous recevons seulement aujourd’hui les rayons qu’ils nous ont envoyés longtemps avant la création de la terre, et que nous les admirerons encore pendant des milliers d’années après leur disparition réelle. n
4 Que sont les six mille ans de l’humanité historique devant les périodes séculaires ? des secondes dans vos siècles ? Que sont vos observations astronomiques devant l’état absolu du monde ? l’ombre éclipsée par le soleil.
52. — Donc, ici comme dans nos autres études, reconnaissons que la terre et l’homme ne sont que néant au prix de ce qui est, et que les plus colossales opérations de notre pensée ne s’étendent encore que dans un champ imperceptible auprès de l’immensité et de l’éternité d’un univers qui ne finira point.
2 Et quand ces périodes de notre immortalité auront passé sur notre tête, quand l’histoire actuelle de la terre nous apparaîtra comme une ombre vaporeuse au fond de notre souvenir ; que nous aurons habité pendant des siècles innommés ces divers degrés de notre hiérarchie cosmologique ; que les domaines les plus lointains des âges futurs auront été parcourus par d’innombrables pérégrinations, nous aurons devant nous la succession illimitée des mondes et l’immobile éternité pour perspective.
53. — Cette immortalité des âmes, dont le système du monde physique est la base, a paru imaginaire aux yeux de certains penseurs prévenus ; ils l’ont ironiquement qualifiée d’immortalité voyageuse, et n’ont pas compris qu’elle seule était vraie devant le spectacle de la création. Cependant, il est possible d’en faire comprendre toute la grandeur, je dirais presque toute la perfection.
54. — Que les œuvres de Dieu soient créées pour la pensée et l’intelligence ; que les mondes soient le séjour d’êtres qui les contemplent et qui découvrent sous leur voile la puissance et la sagesse de celui qui les forma, cette question n’est plus douteuse pour nous ; mais que les âmes qui les peuplent soient solidaires, c’est ce qu’il importe de connaître.
55. — L’intelligence humaine, en effet, a peine à considérer ces globes radieux qui scintillent dans l’étendue comme de simples masses de matière inerte et sans vie ; elle a peine à songer qu’il y a, dans ces régions lointaines, de magnifiques crépuscules et des nuits splendides, des soleils féconds et des jours pleins de lumière, des vallées et des montagnes où les productions multiples de la nature ont développé toute leur pompe luxuriante ; elle a peine à s’imaginer, dis-je, que le spectacle divin où l’âme peut se retremper comme dans sa propre vie soit dépouillé de l’existence et privé de tout être pensant qui puisse le connaître.
56. — Mais, à cette idée éminemment juste de la création, il faut ajouter celle de l’humanité solidaire, et c’est en cela que consiste le mystère de l’éternité future.
2 Une même famille humaine a été créée dans l’universalité des mondes, et les liens d’une fraternité encore inappréciée de votre part ont été donnés à ces mondes. 3 Si ces astres qui s’harmonisent dans leurs vastes systèmes sont habités par des intelligences, ce n’est point par des êtres inconnus les uns aux autres, mais bien par des êtres marqués au front de la même destinée, qui doivent se rencontrer momentanément suivant leurs fonctions de vie, et se retrouver suivant leurs mutuelles sympathies ; c’est la grande famille des Esprits qui peuplent les terres célestes ; 4 c’est le grand rayonnement de l’Esprit divin qui embrasse l’étendue des cieux, et qui reste comme type primitif et final de la perfection spirituelle.
57. — Par quelle étrange aberration a-t-on cru devoir refuser à l’immortalité les vastes régions de l’éther, quand on la renfermait dans une limite inadmissible et dans une dualité absolue ? Le vrai système du monde devait-il donc précéder la vraie doctrine dogmatique, et la science la théologie ? Celle-ci s’égarera-t-elle tant que sa base se posera sur la métaphysique ? La réponse est facile et nous montre que la nouvelle philosophie s’assoira triomphante sur les ruines de l’ancienne, parce que sa base se sera élevée victorieuse sur les anciennes erreurs.
58. — Vous nous avez suivis dans nos excursions célestes, et vous avez visité avec nous les régions immenses de l’espace. Sous nos regards, les soleils ont succédé aux soleils, les systèmes aux systèmes, les nébuleuses aux nébuleuses ; le panorama splendide de l’harmonie du Cosmos s’est déroulé devant nos pas, et nous avons reçu un avant-goût de l’idée de l’infini, que nous ne pouvons comprendre dans toute son étendue que suivant notre perfectibilité future. Les mystères de l’éther ont dévoilé leur énigme, jusqu’ici indéchiffrable, et nous avons conçu au moins l’idée de l’universalité des choses. Il importe maintenant de nous arrêter et de réfléchir.
59. — Il est beau, sans doute, d’avoir reconnu l’infimité de la terre et sa médiocre importance dans la hiérarchie des mondes ; il est beau d’avoir abaissé l’outrecuidance humaine qui nous est si chère, et de nous être humiliés devant la grandeur absolue ; mais il sera plus beau encore d’interpréter sous le sens moral le spectacle dont nous avons été témoins. Je veux parler de la puissance infinie de la nature, et de l’idée que nous devons nous faire de son mode d’action dans les diverses parties du vaste univers.
60. — Habitués, comme nous le sommes, à juger des choses par notre pauvre petit séjour, nous nous imaginons que la nature n’a pu ou n’a dû agir sur les autres mondes que d’après les règles que nous avons reconnues ici-bas. Or, c’est précisément en cela qu’il importe de réformer notre jugement.
2 Jetez un instant les yeux sur une région quelconque de votre globe et sur une des productions de votre nature, n’y reconnaissez-vous pas le sceau d’une variété infinie et la preuve d’une activité sans égale ? Ne voyez-vous pas sur l’aile d’un petit oiseau des Canaries, sur le pétale d’un bouton de rose entrouvert la prestigieuse fécondité de cette belle nature ?
3 Que vos études s’appliquent aux êtres qui planent dans les airs, qu’elles descendent jusqu’à la violette des bois, qu’elles s’enfoncent sous les profondeurs de l’Océan, en tout et partout vous lisez cette vérité universelle : La nature toute puissante agit selon les lieux, les temps et les circonstances ; elle est une dans son harmonie générale, mais multiple dans ses productions ; elle se joue d’un soleil comme d’une goutte d’eau ; elle peuple d’êtres vivants un monde immense avec la même la facilité qu’elle fait éclore l’œuf déposé par le papillon d’automne.
61. — Or, si telle est la variété que la nature a pu nous décrire en tous lieux sur ce petit monde si étroit, si limité, combien plus devez-vous étendre ce mode d’action en songeant aux perspectives des vastes mondes ! combien plus devez-vous la développer et en reconnaître la puissante étendue en l’appliquant à ces mondes merveilleux qui, bien plus que la terre, attestent son inconnaissable perfection !
2 Ne voyez donc point, autour de chacun des soleils de l’espace, des systèmes semblables à votre système planétaire ; ne voyez point sur ces planètes inconnues les trois règnes de la nature qui brillent autour de vous ; mais songez que, de même que pas un visage d’homme ne ressemble à un autre visage dans le genre humain tout entier, de même une diversité prodigieuse, inimaginable, a été répandue dans les séjours éthérés qui voguent au sein des espaces.
3 De ce que votre nature animée commence au zoophyte pour se terminer à l’homme, de ce que l’atmosphère alimente la vie terrestre, de ce que l’élément liquide la renouvelle sans cesse, de ce que vos saisons font succéder dans cette vie les phénomènes qui la partagent, n’en concluez point que les millions de millions de terres qui voguent dans l’étendue soient semblables à celle-ci ; loin de là, elles diffèrent suivant les conditions diverses qui leur ont été dévolues, et suivant leur rôle respectif sur la scène du monde ; ce sont les pierreries variées d’une immense mosaïque, les fleurs diversifiées d’un admirable parterre.
[1]
Ce chapitre est extrait textuellement d’une série de communications
dictées à la Société spirite de Paris, en 1862 et 1863, sous le titre
d’Études uranographiques, et signées Galilée ; médium
M. C. F. [M. Camille Flammarion.]
[10] Plus de 3 trillions 400 billions de lieues.
[11] C’est ce qu’on appelle, en astronomie, étoiles doubles. Ce sont deux soleils dont l’un tourne autour de l’autre, comme une planète autour de son soleil. De quel étrange et magnifique spectacle doivent jouir les habitants des mondes qui composent ces systèmes éclairés par un double soleil ! Mais aussi combien doivent y être différentes les conditions de la vitalité !
Dans une communication donnée ultérieurement, l’Esprit de Galilée ajoute : « Il y a même des systèmes plus compliqués dans lesquels différents soleils jouent, vis-à-vis l’un de l’autre, le rôle de satellites. Il se produit alors des effets de lumière merveilleux pour les habitants des globes qu’ils éclairent ; d’autant plus que, malgré leur rapprochement apparent, des mondes habités peuvent circuler entre eux, et recevoir tour à tour les ondes de lumière diversement colorées dont la réunion recompose la lumière blanche. »
[12] On donne, en astronomie, le nom de nébuleuses irrésolubles, à celles dont on n’a pu encore distinguer les étoiles qui les composent. On les avait d’abord considérées comme des amas de matière cosmique en voie de condensation pour former des mondes, mais on pense généralement aujourd’hui que cette apparence est due à l’éloignement, et qu’avec des instruments assez puissants, toutes seraient résolubles.
Une comparaison familière peut donner une idée, quoique bien imparfaite, des nébuleuses résolubles : ce sont les groupes d’étincelles projetées par les bombes d’artifice au moment de leur explosion. Chacune de ces étincelles nous représentera une étoile, et l’ensemble sera la nébuleuse, ou groupe d’étoiles réunies sur un point de l’espace, et soumises à une loi commune d’attraction et de mouvement. Vues à une certaine distance, ces étincelles se distinguent à peine, et leur groupe a l’apparence d’un petit nuage de fumée. Cette comparaison ne serait pas exacte, s’il s’agissait de masses de matière cosmique condensée.
Notre voie lactée est une de ces nébuleuses ; elle compte près de 30 millions d’étoiles ou soleils, qui n’occupent pas moins de quelques centaines de trillions de lieues d’étendue, et cependant ce n’est pas la plus grande. Supposons seulement une moyenne de 20 planètes habitées circulant autour de chaque soleil, cela ferait environ 600 millions de mondes pour notre seul groupe.
Si nous pouvions nous transporter de notre nébuleuse dans une autre, nous y serions comme au milieu de notre voie lactée, mais avec un ciel étoilé d’un tout autre aspect ; et celle-ci, malgré ses dimensions colossales par rapport à nous, nous apparaîtrait, dans le lointain, comme un petit flocon lenticulaire perdu dans l’infini. Mais avant d’atteindre la nouvelle nébuleuse, nous serions comme le voyageur qui quitte une ville et parcourt un vaste pays inhabité avant d’atteindre une autre ville ; nous aurions franchi des espaces incommensurables dépourvus d’étoiles et de mondes, ce que Galilée appelle les déserts de l’espace. A mesure que nous avancerions, nous verrions notre nébuleuse fuir derrière nous, diminuant d’étendue à nos yeux, en même temps que, devant nous, se présenterait celle vers laquelle nous nous dirigeons, de plus en distincte, semblable à la masse d’étincelles de la bombe d’artifice. En nous transportant par la pensée dans les régions de l’espace, par-delà l’archipel de notre nébuleuse, nous verrons tout autour de nous des millions d’archipels semblables et de formes diverses, renfermant chacun des millions de soleils et des centaines de millions de mondes habités.
Tout ce qui peut nous identifier avec l’immensité de l’étendue et la structure de l’univers est utile à l’élargissement des idées, si rétrécies par les croyances vulgaires. Dieu grandit à nos yeux à mesure que nous comprenons mieux la grandeur de ces œuvres et notre infimité. Nous sommes loin, comme on le voit, de cette croyance implantée par la Genèse mosaïque, qui fait de notre petite terre imperceptible la création principale de Dieu, et de ses habitants les seuls objets de sa sollicitude. Nous comprenons la vanité des hommes qui croient que tout a été fait pour eux dans l’univers, et de ceux qui osent discuter l’existence de l’Être suprême. Dans quelques siècles, on s’étonnera qu’une religion faite pour glorifier Dieu l’ait rabaissé à de si mesquines proportions, et qu’elle ait repoussé, comme étant la conception de l’Esprit du mal, les découvertes qui ne pouvaient qu’augmenter notre admiration pour sa toute-puissance, en nous initiant aux mystères grandioses de la création ; on s’en étonnera plus encore quand on saura qu’elles ont été repoussées, parce qu’elles devaient émanciper l’esprit des hommes, et ôter la prépondérance à ceux qui se disaient les représentants de Dieu sur la terre.
[13] C’est là un effet du temps que la lumière met à traverser l’espace. Sa vitesse étant de 70.000 lieues par seconde, elle nous arrive du soleil en 8 minutes 13 secondes. Il en résulte que, si un phénomène se passe à la surface du soleil, nous ne l’apercevons que 8 minutes plus tard, et, par la même raison, nous le verrons encore 8 minutes après sa disparition. Si, en raison de son éloignement, la lumière d’une étoile met mille ans à nous parvenir, nous ne verrons cette étoile que mille ans après sa formation (Voir, pour l’explication et la description complète de ce phénomène, la Revue spirite de mars et mai 1867, p. 93 et 151 ; compte rendu de Lumen, par M. C. Flammarion).
Il y a deux images de ce chapitre dans le service Google
- Recherche de livres (Première
édition - 1868) et (Cinquième
édition - 1872.)